« Tous ces soleils morts, ces rayons posthumes qui mettent des millions d’années-lumière pour nous parvenir, les astéroïdes, tous ces fragments de vieux mondes fracassés, d’explosions, chancres et vieilles lunes rongées, croûtes, démangeaisons, rougeurs, lupus froid, lèpre dévorante, sanie, et cette ultime goutte de lumière et la plus pure qui perle au plus haut des cieux et qui suinte, et qui va tomber…, n’est pas une larme ni une goutte de rosée, mais une goutte de pus. L’univers est en pleine décomposition. » (Blaise Cendrars – Le lotissement du ciel).
27 mai 2022.- Beau temps, température raisonnable (23°C). 1986 Rhode Island, des mafieux Irlandais et Italiens prennent leurs vacances dans un village de pêcheurs qui ne demandaient rien à personne. On attrape poissons et crustacés, on boit des coups bras dessus bras dessous, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes corrompus possibles. Pourtant, tout vire au tragique, au chianti tourné et au whisky frelaté. L'un des Irlandais se comporte très mal avec la dulcinée d'un des Italiens et voilà une « guerre » qui se déclenche au débotté… C'est le début de La Cité en flammes, premier volume d’une nouvelle trilogie fomentée par un Don Winslow qui pour échafauder sa petite affaire se serait inspiré ni plus ni moins que d'Homère, Virgile, Eschyle et Shakespeare. Je n'ai lu que cent cinquante pages et il y a de ça en sourdine, un côté Guerre de Troie et dilemme shakespearien. Bon c'est surtout très efficace, plus page turner à l’américaine que vraiment puissamment littéraire.
28 mai 2022.- Ciel IKB, vent léger (23°C). Comme dans sa précédente trilogi (La Griffe du chien, Cartel, La Frontière) Winslow cherche le foisonnement et la dimension opératique. Seul problème dans cette toute fraîche Cité en flammes le sujet, les thèmes et territoires sont beaucoup moins vastes. La petite guerre entre mafieux Italiens et Irlandais dans la ville de Providence, ne saurait atteindre l'ampleur de la trop fameuse War on drugs qui sévit depuis bientôt cinquante ans aux États-Unis. Tout cela nous laisse les yeux un peu plantés devant un roman qui s’il se laisse très bien lire (je l'ai boulotté en une journée), manque un peu d'épaisseur et de bourre dans le matelas romanesque. Bon ce n'est que le premier volume sur trois… les autres seront peu être plus homérique et épais (au sens propre), il y a des indices, je me trompe peut-être sur la qualité du futur ensemble.
29 mai 2022.- Soleil et vent (21°C). Jardinage, rempoté quelques fleurs avant d’entamer Les Passants de Jacques Chauviré, écrivain et médecin lyonnais. Rien d'une promenade bucolique et joyeuse, rien de vraiment horticole non plus les « passants » sont ceux qui passent dans le sens de ceux qui trépassent. Je suis pris par le temps, j'en dirai plus demain.
30 mai 2022.- Journée hautement printanière, température idéale (23°C). Rabelais, Ibsen, Schnitzler, Maugham, Tchekhov, Céline… Autant de médecins, autant d'écrivains, autant d'écrivains médecins. L'empathie envers ceux qui souffrent doit certainement inciter à l'introspection littéraire. Moins connu Roland Cailleux (selon Alexandre Vialatte un type capable de fait tenir tout Proust, comme un grand pardessus dans une petite valise »), et puis les deux lyonnais, Jean Reverzy et Jacques Chauviré, deux écrivains-médecins empathiques qu'il faut certainement lire. J'ai déjà parlé ici de Reverzy et de son Passage, hier j'ai débuté la lecture des Passants de Chauviré son deuxième roman qui puise dans son vécu pour décrire la vie d'un jeune docteur installé dans une petite ville de la banlieue ouvrière de Saint-Étienne. Maladies ordinaires, cancéreux en nombres, malades mentaux et vieillards oubliés. Jours tristes et amers qui s'empilent, existentialisme camusien, grisaille et mort qui rôdent, rien de vraiment sautillant dans tout ça… Rien de sautillant, mais du talent. Chauviré prouve que l'on peut-être sec et empathique.
1er 2022.- Pluie légère (21°C). Dans le livre de Chauviré il y a une certaine visée sociologique. C'est la France des années 60 à leurs débuts. Le pays du Frigidaire et de la 2CV, du tout à l'égout et des événements d'Algérie, des ouvriers et du football, de l'Église catholique et du Parti communiste… L'époque est bien dépeinte, ressentie avec un sens de l'instantané qui ne démord jamais, mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel ce sont ces patients qui passent dans le cabinet de Chauviré. Ces patients qui deviennent passants puis disparaissent progressivement vers l'obscurité. L'essentiel c'est la mort. La mort de Reverzy (qui est évoquée), ou de Camus (figure tutélaire, pages poignantes). L'essentiel ce sont les cancéreux, les suicidés, les filles perdues… L'essentiel c'est aussi l'absence de miséricorde, l'empathie et la sobriété d'un écrivain qui ne sort jamais d'une sorte de stoïcisme bien disposé, d'un détachement teinté d'amertume. Beau livre.
2 juin 2022.- Pluies éparses, vague tiédeur (26°C). Labeur et fatigue, couple toujours tangible. Lu une chronique de Jean-Louis Ezine ( Du train où vont les choses). Pas mal.
3 juin 2022.- Chaleur torve (30°C). Court retour dans le Journal Inutile du vieux Morand. Toujours aussi désagréable, toujours aussi amusant… Pour le reste ce beau poème d'Henri Thomas :
Le paradis c'est dans la têteAprès la mort comme il se doit,
Les neurones seront en fête
Comme les sources dans les bois
C'est en repliant dix fois la feuille
Que j'ai découvert la terrible idée
La minuscule et dure araignée
L'éveil de l'esprit à la dorure du jour,
Quand ils vivaient, ceux qui sont morts
Songeant aux morts, se sentaient forts,
Ce sentiment se justifie
Aussi longtemps qu'on est en vie.
4 juin 2022.- Chaleur hésitant entre le caniculaire et le patibulaire (33°C). Ma part d'ombre de James Ellroy. Ou comment raconter sa propre vie avec les armes d'un rapport d'autopsie. Drôle de projet, assez perturbant, passionnant, aussi… Première partie, Ellroy raconte l'assassinat de sa mère. Froideur franchement clinique, attention prolongée aux détails, qu'ils soient saumâtres ou pas, béhaviorisme revendiqué. Seconde partie, le Ellroy adulte tourne autour de l'Ellroy enfant avec un surplomb qui ne concède rien, qui n'oublie rien non plus. C'est assez bluffant, même parfois stupéfiant et d'une honnêteté qui ne claironne jamais.
Par ailleurs assez loin du smog californien et des infirmières trucidées au petit matin, toujours dans les Croquis de Voyages de Joseph Roth. À Avignon (et non en Avignon), il croise de sveltes jeunes filles qui marchent délicatement, avec souplesse, toutes en longues jambes et avec cette peau douce couleur d'olive qui ne brunit jamais, qui ne rougit jamais. Le soleil, le vent, la pluie, et même l'âge glisse sur elles…
5 juin 2022.- Queue d'orage (27°C). Onaniste forcené, acnéique prononcé, cambrioleur, voyeur, fétichiste, alcoolique, drogué, raciste, néo-nazi, clochard pas céleste du tout le jeune Ellroy n'est pas vraiment recommandables. Disons que la vie ne fait rien pour lui, mais qu'il ne fait rien, pour mieux la vivre cette vie. On aura beaucoup de peine à vouloir trouver un écrivain français contemporain avec un tel parcours… Tout cela pour dire qu'un pays comme les États-Unis où essaime une quantité non négligeable de gens perturbés, de cas pathologiques et d'azimutés divers et variés ne nous laisse pas à l'abri d'engendrer quelques écrivains qui ne posent pas leur petit doigt sur la couture du bon goût supposé. Quant à Ma part d'ombre, je dois bien dire que c'est très bien.
6 juin 2022.- Ciel couvert (26°C). Crime fléau moral aux origines totalement empathique, crime énergie mâle détournée, crime aspiration de masse à l'abdication béate, crime aspiration romantique ayant mal tourné… Le paysage a beau être inquiétant j'avance résolument dans la Part d'Ombre de James Ellroy.
7 juin 2022.- Nuages et et soleil, à l'alternat (26°C). Conditions lectorales improbables et pour tout dire quasi impossibles. Néanmoins, terminé la recension autobiographique de James Ellroy. C'est glauque, parfois terrifiant, toujours sincère et étrangement sensible. Constat : la littérature se niche où elle veut et même dans le pire (bonne traduction, certainement). D'une autre sensibilité, une sensibilité mieux peignée, court retour dans le Dictionnaire machin chose de Charles Dantzig. Page 711 la correspondance entre Gorki et Tchekhov est évoquée. Ce bout de lettre du premier au second est recopié, j'aime assez ça : « Il pleut, c’est une damnation. Les chiens aboient les cloches sonnent, mais d’hommes, pas. Dans la rue il ne passe que des popes qui cherchent quelqu’un à enterrer, fût-ce pour trente kopecks ».
9 juin 2022.- Baisse des températures extérieures (20°C). Je m'ennuie et j'ai mal au dos, je m'ennuie et j'ai froid aux pieds, heureusement il y a les Cahiers de Cioran : « L’Extase est la chose que tout le monde cherche par tous les moyens – et la seule qui soit vraie ne s’obtient que par le renoncement. Le renoncement n’est pas un “moyen” ; le renoncement est “tout" ».
10 juin 2022.- Soleil (25°C). Cogito encombré par les mornes vicissitudes du labeur. Concentration impossible au-delà de deux pages. J’ai donc picoré tous azimuts tel un gallinacé étêté. Une chronique de Jean-Louis Ezine, une autre d’Aurélien Béllanger (tous deux labellisés France Culture). Un poème de Jules Supervielle (assez beau et exotique), ces mots de Valéry (Paul) : « L’homme intérieur ne peut se battre avec soi-même ; et, en fait, se bâtonne sous mille figures diverses. Si j’assomme idéalement l’adversaire, c’est moi qui me frappe ».
11 juin 2022.- Beau temps chaud (29°C). Morose et désœuvré ne sachant que lire j'ai relu Bartleby. Il faut toujours préférer relire Bartleby à quoi que soit d'autre. Bartleby, mon frère. Ah, Bartleby ! Ah, humanité !
12 juin 2022.- Tiédeur patibulaire (31°C). Hier soir vie sociale largement alcoolisée. Ce matin encore vaporeux et même pour tout dire malade. Néanmoins, entamé Terre du Ciel de Ramuz. Je ne suis pas dépaysé c'est assez vaporeux et un peu malade. Drôle d'histoire : trois cents trépassés sont rappelés sur un étage de montagne refait spécialement pour eux par une entité que l'on imagine aisément divine. Ceux qui avaient souffert et aimé sont ressuscités et restent tout étonnés de revenir à la vie. Ils découvrent un monde parfait où la peur de l'avenir, les regrets du passé n'existent plus. Chacun reprend son ancien métier par plaisir, le fabricant de cercueils fabrique de jolis meubles et plein des tableaux charmants, le distillateur de gentiane s’émerveille devant des cuvées toutes parfaites, un aveugle apprend à voir deux fois… Le temps passe, l'habitude est là, le bonheur devient normal… mais rien ne dure jamais, la gardeuse de chèvres, perd l'une de ses bêtes, le tragique avance, rôde et enveloppe : « une montagne brille pointue et une autre est ronde ; une est verte, l’autre est grise. Une montagne, et puis une, et puis une encore, et puis encore une. Une ronde, une pointue ; une qui est verte, une grise… »
14 juin 2022.- En bon perdant j'attrape le Covid au moment où il passe de mode. 39°5 le matin, céphalées, perte du goût et de l'odorat, forme paralympique, je suis une loque. Vaguement retourné chez Ramuz. Lecture impossible.
15 juin 2022.- Amorce caniculaire (33°C). Toujours covideux. Je veux bien tout endurer, les 39°2 le matin, le nez qui suinte et les courbatures, les céphalées et les vertiges, l'asthénie et le teint blafard, mais par pitié monsieur Pangolin rendez-moi le goût et l'odorat ! Je n'imagine pas un monde sans andouillettes et sans tabliers de sapeur, un monde sans Epoisse et dans Givry premier cru ! Un monde sans le fumet de noisette chanci des vieux livres… En attendant que tout cela revienne et n’ayant pas perdu la vue, je lis… Face aux ténèbres de William Styron. Un témoignage sur une autre maladie, qui ne doit rien au pangolin : la dépression (pas la petite, mais la carabinée). Beau livre parfaitement tenu, sec et émouvant, avec une pointe d'espoir. L'espoir de ceux qui ont touché le fond et qui sont un peu remontés.
16 juin 2022.- Chaleur patibulaire (34°C). Encore malade, mais moins. Les lignes qui suivent seront une sorte de Journal covideux… Sous les tiédeurs ma voisine de gauche écoute des musiques indiennes qui se déplacent en souples et moites corolles vers mes oreilles qui ne demandaient rien. Les raisons de ce soudain exotisme que j’espère passager m’échappent totalement, mais entre la touffeur, les tablas et sitars, l’effet est saisissant. J’ai l’impression d’effectuer ma sieste dans les faubourgs de New Delhi. J’espère que pour compléter cette nouvelle lubie ma voisine n’a pas aussi apprivoisé un cobra, car je déteste ces bestioles-là. Bon en dehors de tout ça, j’ai aussi essayé de lire. J’écris essayé, puisque dans un tel chambard labellisé Ravi Shankar, il m’a bien été difficile de trouver la moindre concentration. Pour tout vous dire, il a fallu que je fiche deux boules Quies dans chacune de mes oreilles pour arriver à mes fins. Grâce au covid j’avais déjà perdu le goût et l’odorat, grâce à ma voisine je viens de perdre l’ouï. Il me reste le toucher qui ne me sert à rien, je suis confiné et très peu onaniste ces temps-ci, et donc la vue ce qui ne ramène à la lecture ( tout est dans tout). Je ne voudrais pas assommer le coq en tombant sur l’âne, mais le livre que j’ai lu dans les conditions décrites dans les lignes valétudinaires qui précédent n’est pas forcement ton sur ton avec celle-ci, il s’agit de Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, l'une des plus belles choses du prix Nobel hongrois Imre Kertész. Ce n’est pas un livre très joyeux, on peut même dire qu’il n’est pas joyeux du tout , ce n’est peut-être pas un livre de convalescence idéal, mais c’est un livre extraordinaire… En parlant de convalescence, Kertész sera un éternel convalescent, on ne ressort pas vivant d’Auschwitz à l’âge de 15 ans sans en garder de larges séquelles. Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pasest un livre écrit pour dire qu’il ne faut pas dire qu’ « Auschwitz ne s’explique pas » un livre écrit pour prouver que l’on peut écrire après Auschwitz », un livre écrit pour emmerder Adorno, car oui Adorno nous emmerde !… C'est terrible, étouffant, plein de scansion, de retour, d’imprécations qui tournent pour se rejoindre, de cercles temporels qui se croisent, pleins de négation aussi : écrire après Auschwitz : oui, mais procréer après avoir VÉCU Auschwitz : non, non, non !!! Ce n’est pas une réflexion c’est une prière, ce n’est pas un témoignage c’est de la littérature. De la littérature là où ça fait mal.
17 juin 2022.- Le potentiel caniculaire ne désenfle pas (34°C). Comme Manchette, Fajardie me rappelle que je fus de gauche alors qu'aujourd'hui je me donne l'impression de ne plus être de rien. C'est ce que j'ai ressenti en relisant La Théorie du 1 %,deuxième volume de sa fameuse série Padovani écrit en 1979. Pour tout vous dire cette relecture à même engendré chez moi une sourde nostalgie d'un temps où l'on fonçait sur le bourgeois certes avec de belles œillères, mais avec une liberté de ton et d'esprit, une légèreté qui ne saurait plus être de mise aujourd'hui où tout semble assommé par les morales sociétales les plus diverses. Drôle d'affaire donc que cette Théorie du 1 %, où tout le monde est caricaturé, mais où on pourrait presque aimer tout le monde. Les collaborateurs transformés en résistants de la 25e heure, les vieux maurrassiens et les jeunes giscardiens, les policiers ivrognes et décalés et les policiers ivrognes et bien calés. Les assassins en séries et les filles perdues qui finissent par se jeter dans les rivières. L'art de Fajardie est un art d'esquisse, un art de la pointe sèche qui fait fi de la psychologie, des descriptions délayées et des diverses appogiatures. On s'y sent très bien, on s'y amuse et on rigole en traquant les salauds tout en ne faisant jamais une petite tête de curée-engagé-constipé. La nostalgie peut-elle être de gauche ? Par ailleurs sur le front du covid, plus de fièvre. Je retrouve l'odorat par phases plus ou moins ragoûtantes (avant-hier tout sentait l'expectoration pectorale, aujourd'hui tout sent un peut le cadavre).
18 juin 2022.- La canicule est là torve, plantée comme une sale bestiole avec son air mauvais (38°C). Il faisait trop chaud, trop chaud pour travailler, trop chaud pour ne rien faire, alors j’ai visé l’évaporation, de mon enveloppe charnelle, du reste aussi, cela aura été le but de cette journée. But partiellement atteint, je suis toujours là. … et puis j’ai tout de même lu un peu… La Vie meurtrière, l’un des trois romans de Félix Valloton, peut-être le plus sombre (je crois que c’est son dernier il est paru de façon posthume). J’aimais beaucoup le Valloton peinture, j’aime déjà le Valotton romancier. Son esprit en tous les cas, qui me semble sarcastique en douceur et globalement tendu par quelque chose de tout à la fois mal pensant et de presque anarchiste en loucedé. L’intrigue de La Vie meurtrière ne trahit pas mes faibles assertions. Jugez sur pièces, un jeune gandin vaguement artiste Jacques Verdier provoque depuis sa plus tendre enfance une quantité non négligeable de monstrueux accidents mortels : crises cardiaques, chutes, empoissonnements, brûlures… il décide donc de se suicider, tout en laissant derrière lui un manuscrit qui décrit par le détail la somme des turpitudes involontaires qu’il aura fait subir à ses divers entourages. La construction est assez maligne et presque moderne, le style est désuet dans le bon sens, Valloton parle un peu peinture (son Jacques Verdier est un peu critique d’art). Pour résumer je dirai que c’est un « roman de mœurs » qui ressemble à du Bove en couleurs.
19 juin 2022.- Vent saharien (37°C). Le héros de Vallotton tombe amoureux d'une bourgeoise, elle se refuse à lui, semble lui préférer un jeune gandin. Par désœuvrement il fréquente une cocotte qui le contamine. Sa bourgeoise lui cède enfin, il la contamine à son tour, elle en meurt, il se tue… Suis-je le seul à voir de la taquinerie goguenarde dans cette histoire ? Des sarcasmes qui piquent à fleurets mouchetés ? Le triomphe de l'ironie ? Hier je pensais aux romans de Bove, aujourd'hui je pense aux « romans durs » de Simenon, il y a de ça.
Je ne m'étendrais pas plus, il fait trop chaud.
20 juin 2022.- Grande tiédeur (34°C). Je lis Le mage du Kremlinde Giuliano da Empoli, roman qui raconte de façon déguisée la vie et les agissements de Vladislav Sourkov l'une des éminences les plus grises de Vladimir Poutine. On aurait pu attendre un page turner à l'américaine, une affaire concédant tout à l'efficacité, ce n'est pas vraiment ça, c'est plutôt un roman roman à la française qui se pique un peu de littérature et c'est peut-être bien là tout le problème. Le sujet passionnant aurait pu suffire de par lui-même, mais non l'auteur ne peut pas s'empêcher de rajouter du romanesque à la truelle, des glacis de fiction qui ne servent à rien. Drôle d'idée que de vouloir faire fictionner une histoire lorsqu'elle fictionne déjà toute seule.
21 juin 2022.- L'orage approche (33°C). La chienne Konni et Angela Merkel, le FSB et les attentats de Moscou, le Haut-Karabagh et la Tchétchénie, Berezovsky et Khodorkovski, Limonov et les Loups de la nuit, Maïdan et la CIA, l'Internet Research Agency et Trump… Giuliano da Empoli rappelle tout cela et il fait bien de le faire puisque c'est fort distrayant… Le reste la fiction romanesque est beaucoup moins intéressante, ce n'est qu'un véhicule qui n'est là que pour transporter des informations, un véhicule qui tourne à vide (et puis c'est assez mal écrit, tout du moins me semble-t-il).
23 juin 2022.- Queue d'orage, fraîcheur latente (26°C). Une chronique de Jean-Louis Ezine (génie de la 2CV), une autre d'Aurelien Bellanger (génie de Michel Rocard), quatre pages des Cahiersde Cioran qui déçoivent rarement : « Le disciple est mon cauchemar. Je ne pardonnerais pas à ceux qui m’imiteraient. J’aime mieux un ennemi qu’un compagnon.»
25 juin 2022.- Nuages (28°C). Je suis toujours un peu dans les Croquis de Voyage de l'ami Roth. De Nijni Novgorod à Astrakhan il longue la Volga et on lui raconte que des gens sont morts par milliers. Que ces gens ont mangé des chats, des chiens, des rats et des enfants morts de faim. Qu'ils ont mordu leur propre bras jusqu'à ce que le sang coule. Qu'ils ont bu ce sang. Qu'ils ont gratté la terre à la recherche de vers bien gras. Qu'ils ont mangé de la chaux blanche que dans leur délire ils ont prise pour du fromage. Voilà comment ces gens sont morts dans d'atroces souffrances. Deux heures, le temps d'un début de digestion aura suffi. La Russie post révolutionnaire n'était donc pas si joyeuse que ça. En dehors des famines staliniennes (Staline salaud !), et à l'alternat, j'ai entamé le fameux Matin des Magiciens des non moins fameux duettiste Pauwels/Bergier. Livre acquis chez un bouquiniste torve de Montpellier. C'est l'édition originale de 1960, elle est est non massicotée et donc non lue. Bouquin tout aussi étonnant qu'il est amusant. Sorte de galimatias fumiste ou vrai bidule conséquent ? Pour l'instant, cent pages, c'est entre les deux, entre les « géants de l'ère secondaire » et le « socialisme magique hitlérien ». Comme le dit très bien la quatrième de couverture : « cet ouvrage singulier, dont la documentation est énorme, se lit comme un roman. C'est d'ailleurs peut-être un roman. » J'ai l'impression que cette quatrième de couverture ne se trompe pas.
26 janvier 2022.- Les nuages stagnent, la fraîcheur tombe (23°C). Le Matin des Magiciens devient vraiment amusant aux alentours de la page 130 lorsque Jacques Bergier entre en piste. Tout juste rescapé du camp de Mauthausen on le voit découper un coffre-fort au chalumeau. Dans ce coffre-fort il y a une bouteille contenant une poudre lourde, c'est de l'uranium pour application atomique. Propriété d'un grand trust allemand, c'est aussi la preuve formelle que les nazis étaient proches de créer une vraie bombe atomique. Drôle de personnage que Jacques Bergier, ingénieur, résistant terroriste, déporté et agent secret. Un type pour qui rien de ce qui était étrange n'était étranger, un type à la culture ésotérique immense capable de discuter avec un peu tout le monde, les alchimistes et même les extra terrestres. Hergé se souviendra de lui. Il apparaît sous les traits de Mik Ezdanitoff dans l'album Vol 714 pour Sydney.
27 juin 2022.- Météo fraîche et maussade (20°C). Le Matin des magiciens frôle les rivages du grand n’importe quoi, mais c’est un grand n’importe que l’on peut beaucoup aimer. Un genre de fourre-tout brinquebalant qui finit par exploser dans une pyrotechnie de théories plus farfelues les unes que les autres. On y parle des Incas et des Mayas, d’Asiates déportés au Groenland par un escadron de vaisseaux extra terrestres, d’alchimie et des origines du mal, du nazisme et des sociétés secrètes… La fascinante théorie de la « glace éternelle » explique tout : les « géants » et la disparition des dinosaures, l’Atlantide et les Statues de L’Île de Pâques, les changements climatiques et les païens à flambeaux teutoniques excités sur les tribunes de Nuremberg. Tout est expliqué avec un grand sérieux qui ne démord jamais… On imagine que les idées et la pseudo science viennent
de Bergier (ce grand azimuté) et que Pauwels est là pour ordonner, pour synthétiser ce grand méli-mélo croquignolet. Tellement croquignolet que les deux ne semblent pas dupes d’eux-mêmes : « … Il y aura sans doute beaucoup de bêtises dans notre livre, répétons-le, mais il importe assez peu, si ce livre suscite quelques vocations et, dans une certaine mesure, prépare des voies plus larges à la recherche. Nous ne sommes que deux pauvres casseurs de cailloux : d’autres feront la route ».
28 juin 2022.- Quelques rares nuages (24°C). Les théories enfumées autour du nazisme sont le cœur de la petite chose de Bergier et Pauwels. La terre creuse, l'ordre noir, la société de Thulé, l'indo aryanisme tout cela est vertigineux et pourrait presque engendrer une sourde fascination chez le lecteur. Le reste - l'alchimie, les histoires de transmission de pensée, les débuts du numérique - a beaucoup vieilli et n'est plus très amusant. On aimera donc beaucoup le cœur du Matin des magiciens et moins ses débuts et sa fin. Reste cette citation de Chesterton qui me semble bien résumer l'ensemble : « le fumiste n’est pas celui qui plonge dans le mystère, mais celui qui refuse d’en sortir ».
29 juin 2022.- Beau temps (27°). Le Matin des magiciens est très bien lorsqu'il baguenaude dans les anachronismes et l'anticipation rétroactive, beaucoup moins quand il fait le malin en se projetant vers le futur, c'est-à-dire notre présent. Les pages consacrées au spiritisme, à la transmission de pensée ou mystère d'un cerveau que nous n'utiliserions qu'à 10% de ses capacités sont assez ennuyantes, on en viendrait les passages beaucoup plus amusants autour d'Himmler et des nazis toqués (comme si on pouvait s'amuser avec les nazis). Tout étant dans tout, et les conditions lectorales étant ce qu'elles sont, quasi impossibles dans le brouhaha du voisinage, j'ai fini ma lecture avec le In a Beautiful Place Out in the Country de Boards Of Canada entre les deux oreilles. Accord parfait, ton sur ton indubitable, cet EP de musique électronique est tout à fait ésotérique, avec pour références cachées la loi de Planck, le nombre d'or et les davidiens de David Koresh.
To be continued