Les XVIII et XIX siècles – La cour continuant de donner le ton sous la Régence et sous Louis XV, les broderies demeurent très élégantes, surtout celles des vêtements masculins. L’Union française des arts du costume, au Musée de la mode à Paris, possède de nombreux exemples d’habits et de gilets délicatement ornés, qui figurent parmi les plus belles productions de l’époque. Brodés sur une seule pièce d’étoffe avec leurs boutons assortis, ces gilets sont souvent livrés non découpés à l’acheter, qui se charge de la couture. Les imprimés de la Compagnie des Indes, dont l’importation est pourtant prohibée, servent de modèles aux ouvriers du XVIIIème siècle ; les motifs floraux, taillés dans des tissus brochés, sont appliqués ensuite sur des supports différents et fixés à l’aide de broderies.
Pendant cette période, tisserands et brodeurs travaillent à l’unisson. Le raffinement des ouvrages exige plus de précision, surtout dans l’exécution des détails. Les grands amateurs de broderie ne se contentent déjà plus des créations européennes : ils envoient aux brodeurs de Chine leurs habits à décorer. Parmi les matériaux les plus utilisés, figurent la soie plate et torse, la cannetille, la chenille ; on introduit parfois dans ces ouvrages des rubans très étroits, comme ceux qui servent de signets dans les livres. On emploie l’or et l’argent en fils, ainsi qu’en graines, perles, paillettes, paillons, bouillons, frisures, chaînettes et soutaches.
Sous Louis XVI, l’habit à la française persiste avec ses bordures et ses semis. L’écho du « retour à la nature », préconisé par Jean-Jacques Rousseau, se ressent jusque dans les poches et les parements. Guirlandes florales, scènes champêtres, insectes minuscules décorent les gilets d’hommes. Les robes, elles, sont ornées de tulipes, de roses, d’œillets et de rubans de couleurs tendres, qui encadrent des médaillons, se lient à des guirlandes, se nouent à des trophées, tandis que bouillonnes et ruchés envahissent la surface des jupes. On utilise les fines batistes brodées aussi bien pour les déshabillés que pour les toilettes d’apparat. Les mousselines ouvragées et les fichus se portent, après la Révolution, dans toutes les régions de France.
Dans le domaine de la décoration intérieure, on apprécie alors une nouveauté : la broderie en laine sur canevas. Canapés, causeuses ou tête-à-tête, la plupart des sièges créés à cette époque sont garnis de tapisserie tissée ou brodée au petit point ; on mêle de la soie aux figures, exécutées plus finement que les bordures, et dans ces compositions apparaissent singes, écureuils et pastorales maniérées. Ne nécessitant pas une connaissance technique approfondie, la tapisserie à l’aiguille s’exécute facilement de sorte que des dames de la cour s’adonnent à ce loisir, réalisant elles-mêmes des ouvrages pour leurs appartements.
Sous le Directoire, on décore surtout les costumes officiels. Représentations et fêtes nationales donnent l’occasion de créer des tenues nouvelles, dont l’extérieur et le revers sont richement ornés. Napoléon Ier, qui souhaite stimuler l’économie, se révèle être le principal promoteur de ces uniformes. On attribue aux ministres, membres des grands corps d’Etat, représentants du peuple et administrateurs, un vêtement propre à leur fonction et décoré selon la technique de la broderie métallique. En même temps, sur les linons blancs et les fines mousselines du vêtement féminin, s’épanouissent des broderies blanches, surtout du plumetis.
Sous le Consulat et l’Empire, les costumes de cérémonies des dignitaires demeurent toujours aussi somptueux. Sur les nouveaux modèles figurent des abeilles, des lauriers, des branches d’olivier et de chêne. C’est alors le triomphe définitif de la broderie métallique : les habits de cour en sont constellés et les robes tellement chamarrées d’or, qu’il est parfois difficile d’en distinguer la couleur ! Pendant la Restauration, les broderies s’alourdissent, comme en témoignent les fastueux costumes du sacre de Charles X, l’une des dernières grandes cérémonies officielles de la royauté. Le Musée historique des tissus à Lyon conserve des échantillons de ces ornements qui constituent un véritable catalogue des matériaux utilisés : verroteries polychromes, soies, métaux, perles, nacre.
En dehors de son caractère officiel, l’usage de la broderie se répand dans toutes les classes de la société. On la retrouve sur le linge de table, les parures de lit, les pièces de trousseau, la lingerie d’enfant, les accessoires du costume, et même sur les objets décorant la maison : la broderie blanche de la robe Directoire s’est imposée dans l’Europe entière. Ces ouvrages, produits en grande quantité dès la fin du XVIIIème siècle en Angleterre et en Ecosse, seront peu à peu remplacés par des formes ajourées plus simples, dans le genre de la broderie anglaise. Au XIXème siècle, la Suisse se distingue par ses ateliers de broderies sur blanc, où sont confectionnés des motifs fleuris d’une infinie délicatesse, parfois accompagnés de parties légèrement en relief.
Avec la production mécanisée de la fin du XIXème siècle, se répand la vogue des ouvrages sur tulle faits à la machine. Ces produits, pourtant bon marché, copient fort bien les dentelles de Lille, de Chantilly et celles de Bruxelles, avec applications de linon ou d’organdi. Les tulles brodés sont fabriqués en Bretagne, en Angleterre à Coggeshall et en Irlande, à Limerick et Carrickmacross.
Le vêtement brodé au XXème siècle – Le début du XXème siècle marque la transformation du costume féminin. Charles Frédéric Worth, un précurseur de la haute couture, commence, dès 1858, à créer des modèles pour une clientèle huppée ; il sera suivi par des couturiers comme Doucet et Paquin. Les soeurs Callot rivalisent d’ingéniosité dans la mise en oeuvre de matériaux raffinés, mais c’est surtout Paul Poiret qui, après un apprentissage chez Worth, va métamorphoser la silhouette de la femme, en imposant un style né de son imagination : des tuniques de mousseline brodées de perles et bordées de fourrure, couvrant des tulles irisés, ornés de pluie d’or, de jais ou de paillettes.
La broderie est alors utilisée pour le vêtement quotidien comme pour les robes du soir et les costumes de spectacles. André Bakst va créer des costumes de ballet constellés d’ornements où cabochons, paillettes, pierreries se mêlent aux lacets, soutaches et galons à l’image du courant oriental qui a sensibilisé la mode au début du siècle. Les Ballets russes, connus des Parisiens dès 1909, stimulent également l’imagination des couturiers et des brodeurs. La ligne du vêtement féminin se simplifie : la silhouette sinueuse du début du siècle devient verticale ; paillettes et perles recouvrent souvent toute la surface de ces fourreaux droits ; enfin les arabesques végétales de l’Art Nouveau font place aux cercles, aux carrés et aux pyramides de l’Art Déco.
Sonia Delaunay adapte ses recherches picturales au vêtement féminin. Elle fait exécuter en 1925 pour Gloria Swanson, célèbre star du cinéma muet, un manteau « simultané » en broderie de laine, à dessins géométriques.
A cette époque, et plus tard dans le siècle, selon les fluctuations et les courants de la mode, les grands couturiers, tels que Lelong, Lanvin, Schiaparelli, Balenciaga, feront travailler les ateliers de broderie. Plus récemment, Courrèges et Paco Rabanne architecturent certains modèles, en utilisant des paillettes géantes et des modules de métal ou de plastique qui recouvrent la totalité du vêtement, jusqu’à lui donner, parfois, l’apparence d’une armure.
La broderie reste une technique à part dans le monde de la haute couture ; réalisée dans des ateliers, comme ceux de Rébé ou de Lesage, elle doit s’inscrire dans le patron du vêtement, fourni par les créateurs. Actuellement, la plupart des effets brodés, fabriqués à la machine, font l’objet d’une industrie particulière.