" Qui sauvera Les Républicains et sur quelle ligne ? (...) Laminé à la présidentielle, LR doit se réinventer pour exister. Un duel se profile pour diriger le parti, en décembre, entre les très droitiers Éric Ciotti et Bruno Retailleau. " (Rémi Clément, "L'Express" le 11 septembre 2022).
Ce week-end des 3 et 4 décembre 2022 a eu lieu le premier tour du vote interne au sein des 91 110 adhérents du parti Les Républicains pour désigner leur prochain président de parti.
Incontestablement, cette élection interne n'a pas passionné les Français, ni les médias. Un débat télévisé a eu lieu le 21 novembre 2022 sur LCI et cela s'est arrêté là. Il faut toutefois observer qu'il y a une dizaine d'années, les élections internes dans les partis restaient toujours "souterraines" et qu'aucun débat contradictoire n'était étalé sur la place publique au risque de donner des arguments nouveaux aux adversaires.
Trois candidats et un enterrement ?
Lucien Neuwirth.
Le premier constat est la participation, que je trouve importante : près de 73% des adhérents ont pris part au vote (exactement 66 216 adhérents), ce qui n'est pas négligeable. Avec cette faible mobilisation médiatique, on aurait pu imaginer qu'elle fût inférieure à 50%. En fait, ce n'est pas étonnant. L'enjeu est crucial pour ce parti puisqu'il s'agit de son existence même dans le paysage politique qui est en jeu.
Ce parti, qui comptait près de 300 000 militants à l'époque faste du sarkozysme triomphant sous l'étiquette UMP, qui, rappelons-le, pouvait rassembler au premier tour plus de 40% des suffrages exprimés au niveau national lors des élections à l'époque où il se divisait en deux partis, l'UDF et le RPR parfois réunis dès le premier tour (la liste UDF-RPR conduite par Simone Veil aux élections européennes de juin 1984, par exemple). Depuis 2017, ce parti n'a pas été capable d'amener son candidat à un second tour d'élection présidentielle, et en 2022, avec la candidature de Valérie Pécresse, d'atteindre les 5%, seuil fatidique pour le remboursement d'une partie des frais de campagne.
Le débat du 21 novembre 2022 a montré sans ambages les lignes de fracture du parti. Et a fait connaître les trois candidats qu'on pourrait résumer très simplement ainsi. Le favori est incontestablement Éric Ciotti, arrivé au premier tour à la primaire fermée de 2021 ; le challenger est Bruno Retailleau ; l'outsider est Aurélien Pradié.
Ce que l'observateur politique a aussi appris de ce débat, c'est qu'il n'y avait pas de ligne de division sur un sujet qui compte beaucoup pour un parti politique qui se revendique prêt à gouverner : le nom de son candidat à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2027. Les trois candidats admettent qu'il n'y a qu'un seul homme providentiel pour Les Républicains, et il s'appelle Laurent Wauquiez qui reste très discret dans le débat public national depuis 2019 et l'effondrement électoral aux dernières élections européennes. Le seul clivage, c'est de savoir quand il faudrait le désigner officiellement champion, tout de suite selon Éric Ciotti qui semble se montrer le plus wauquieziste (mais justement, j'y reviendrai plus loin), après les élections européennes de 2024 pour les deux autres candidats, pour lui éviter les conséquences politiques d'un éventuel échec à ces élections européennes (on voit le grand optimisme qui prévaut dans cette enceinte !).
Celui qui pouvait apporter une ligne politique claire et surtout nouvelle, innovante, a été éliminé ce dimanche 4 décembre 2022, ayant été celui des trois qui a obtenu le moins de voix, 14 765 adhérents, soit seulement 22,3% des votants. En effet, Aurélien Pradié voulait entraîner son parti, par sa jeunesse, son dynamisme et sa créativité, vers un terrain beaucoup plus social et beaucoup moins sécuritaire, au point qu'il était le seul à affirmer abruptement qu'à l'Assemblée Nationale, non seulement il voterait contre un allongement de l'âge légal pour prendre sa retraite mais qu'il déposerait une motion de censure contre le gouvernement s'il avait l'impression que le gouvernement voudrait escamoter le débat. Ses deux concurrents, en revanche, étant favorables à cet allongement, avaient annoncé qu'ils voteraient cette réforme selon certaines conditions que les sénateurs LR, présidés par Bruno Retailleau, ont déjà fait entendre à la majorité présidentielle.
Il faut dire qu'Aurélien Pradié n'a pas été aidé par ses amis putatifs. Le principal aurait pu être Xavier Bertrand, qui se voudrait plus "droite sociale" que ses rivaux. "Malheureusement", comme Aurélien Pradié a diagnostiqué que seul, Laurent Wauquiez pourrait être le candidat de LR pour la prochaine élection présidentielle, on comprend que Xavier Bertrand, qui est en dedans et en dehors, un pied dans sa tombe politique et l'autre pied pas loin, n'a pas souhaité lui apporter un soutien très appuyé. C'est dommage, car vu la forte participation (trois quarts), et la nouveauté que proposait Aurélien Pradié, il aurait pu avoir plus qu'un score de témoignage s'il avait bénéficié de meilleurs relais internes au parti dont il est pourtant l'actuel secrétaire général depuis trois ans.
Aurélien Pradié au second tour, cela aurait créé la surprise, et sans doute, une impulsion nouvelle pour un élan nouveau dont aurait besoin Les Républicains. Il y aura bien un second tour (le second vote aura lieu les 10 et 11 décembre 2022, le week-end prochain), avec le risque, quand il y a deux tours, d'une division supplémentaire entre les militants.
Sans surprise, chouchou des adhérents, Éric Ciotti est en tête avec 28 297 voix, soit 42,8% des votants, et il est en avance de plus de 5 000 voix par par rapport à son concurrent du second tour Bruno Retailleau, qui n'a rassemblé que 22 815 voix, soit 34,5% des votants.
Il faut le dire, le match Ciotti vs Retailleau n'est pas un duel sur le fond programmatique de ce parti. Les deux candidats se rejoignent sur la plupart des points politiques, la différence est plus dans la forme. L'un, Éric Ciotti, est un audacieux, qui risque de renforcer les clivages mais qui montre un plus grand volontarisme, notamment pour deux sujets qu'il considère comme cruciaux, la fiscalité (baisse drastique des impôts et taxes) et la sécurité et l'immigration (avec des propositions qui contraignent encore plus, comme cela n'a pas arrêté d'être voté depuis plus de cinquante ans à l'époque de Raymond Marcellin avec le succès qu'on observe). L'autre, Bruno Retailleau, est beaucoup plus mesuré, réservé, voire fatigué, il représente le conservatisme discret, plus soucieux de faire moins de bruit pour assurer l'essentiel que de partir l'épée au vent conquérir de nouveaux territoires. Pourtant, sans conquête, sans reconquête, Les Républicains resterait dans les oubliettes du jeu politique national. En résumé, l'un est le candidat de la fidélité gaulliste, RPR, UMP, LR (Bruno Retailleau était dans le parti de Philippe de Villiers avant de rejoindre l'UMP) ; l'autre est le candidat de Gérard Larcher, le Président du Sénat.
Le clivage interne est d'ailleurs assez frappant : Éric Ciotti est le candidat des militants, de la base, de la vox populi ; Bruno Retailleau est le candidat des élus, des cadres, du sommet de la pyramide. C'est pour cela que je ne donne pas cher de la candidature de Bruno Retailleau au second tour.
D'une part, sur le plan philosophique, il n'y a aucune raison que les adhérents qui ont opté pour Aurélien Pradié au premier tour préfèrent Bruno Retailleau à Éric Ciotti (sur l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution, par exemple, Aurélien Pradié rejoint même Éric Ciotti contre Bruno Retailleau qui s'y oppose), car il n'y a pas de différence de fond entre les deux finalistes.
D'autre part, Bruno Retailleau est au fond le représentant du statu quo chez LR, même s'il est plus bruyant pour souhaiter un changement d'appellation (la marque LR a fait son temps, datant pourtant seulement du printemps 2015). Toutes les poussières du parti, son truc à lui, c'est de les pousser sous le tapis et d'atteindre voir venir tandis que ses deux concurrents préféraient au contraire trancher et clarifier les positions de LR.
Si Bruno Retailleau gagnait la présidence de LR, il paraît donc assez prévisible qu'en 2026, la direction de LR se réveillerait comme ce fut le cas en 2021 et se dirait : "flûte, on n'a pas de candidat, on n'a pas de programme, vite ! Préparons l'élection présidentielle !". On a vu ce que cela a donné en 2021-2022 : moins de 5%.
La candidature de François Fillon, en 2017, avait été très mûrement préparée, François Fillon travaillait sur son programme dès février 2013 et a rencontré de nombreuses personnes qualifiées sur tous les domaines pendant quatre ans pour affiner ses propositions. Il était sans doute le mieux préparer l'élection de 2017, en revanche, pas préparé pour un sou à se défendre en cas d'attaque ou d'affaire personnelles, et, à mon avis, pas préparé non plus à réagir à des crises majeures imprévisibles ( gilets jaunes, pandémie de covid-19, invasion russe de l'Ukraine, etc.).
On pourrait penser qu'en 2027, comme c'était le cas en 2017, ce serait le tour du candidat de LR : en 2017, on se disait qu'après le discrédit de la gauche sublimé par l'impossibilité politique de François Hollande à solliciter le renouveler son mandat, le candidat LR serait forcément élu. En 2027, le Président Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat, et donc, dans l'état actuel des forces politiques, c'est une fenêtre d'opportunité pour Les Républicains : le candidat LR pourrait être le remplaçant. Sauf que pour l'instant, il y aura du travail, car on ne remonte pas la pente de 4% à 51% sans effort et sans réflexion.
Et le gros problème de LR, c'est que gagner l'élection présidentielle de 2027, c'est être, d'une manière ou d'une autre, l'héritier du macronisme, pas son opposant, car ce seraient les mêmes électeurs qui voteraient pour le candidat LR que ceux qui avaient voté pour Emmanuel Macron en 2022, face aux deux grands pôles d'opposition populiste que sont le Rassemblement national et France insoumise, eux-mêmes dotés de candidats inexpugnables, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
Et paradoxalement, s'il veut attirer à lui de nouveaux électeurs, ce parti devra se différencier du macronisme, et donc, jouer à l'opposant le plus résolu (face au gouvernement actuel) et aussi le plus rassurant (face au RN et à FI). Sans perdre sa capacité de rassembler les électeurs macronistes au second tour. Autant dire que la feuille de route est délicate. On est loin de l'hégémonisme de l'UMP fondée par Jacques Chirac et Alain Juppé en avril 2002.
L'élection d'Éric Ciotti à la tête de LR ferait incontestablement bouger les lignes. Plus d'hésitante position face au gouvernement et opposition frontale. Probablement qu'elle ferait perdre des adhérents en route, en particulier ceux qui ne sont pas pour une révolution fiscale drastique (à la Reagan). En revanche, elle aurait le potentiel pour attirer d'autres électeurs, parmi ceux qui ne sont pas ou plus engagés, désabusés de l'évolution du paysage politique, ou ceux, pour la partie sécuritaire, qui se sont noyés dans l'extrême droite de manière très stérile puisque celle-ci n'est pas parvenue aux responsabilités.
Ce qui me fait sourire, c'est qu'on dit qu'Éric Ciotti est le plus proche de Laurent Wauquiez (des trois candidats). Mais je serais Laurent Wauquiez, je me méfierais de mes plus proches amis ! En souhaitant désigner Laurent Wauquiez dès l'année prochaine, 2023, Éric Ciotti pourrait facilement brûler cette hypothèse en cas d'intempéries fortes sur LR avant 2026 (je pense aux élections européennes de 2024). Et lui ouvrir un boulevard pour sa propre candidature à l'élection présidentielle de 2027. Après tout, il voulait déjà être ce candidat en décembre 2021, et même s'il ne la met pas en avant, son ambition présidentielle est bien réelle, probablement pour faire gagner ses convictions avant tout, mais en tout cas, face au vide de l'offre politique sur ce secteur de la vie politique, Éric Ciotti n'est pas le moins déméritant. Je serais Laurent Wauquiez, je choisirais pour le statu quo, qui me garderait bien au chaud mon statut de candidat putatif pendant tout ce quinquennat.
Le journaliste Paul Chaulet a publié un article dans "L'Express" le 28 septembre 2022 dont le titre est très éloquent : " Et si Éric Ciotti manipulait Laurent Wauquiez ? ". En évoquant les talents de marketing du député des Alpes-Maritimes, l'article explique : " Autant prendre un peu de sa lumière. Pour Éric Ciotti, la carte Wauquiez est une manière de briser un plafond de verre. Arrivé en tête au premier tour du congrès de 2021, il n'avait pas réussi à franchir la barre des 40% au second tour. Trop clivant. Ses concurrents s'étaient précipités dans les bras de Valérie Pécresse. ". Il a en tout cas franchi ce seuil de 40% le 4 décembre 2022.
Certes, le journaliste admet aussi : " Éric Ciotti ne s'imagine pas porter les couleurs de LR dans cinq ans. L'homme a conscience de ne pas boxer dans la même catégorie que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Il juge Laurent Wauquiez d'un niveau supérieur à ses rivaux, comme Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse. ".
Mais en politique, il est des transformations rapides, qui font d'un responsable politique ordinaire, voire médiocre, une incarnation populaire très forte d'un courant politique.
L'exemple de Ségolène Royal est très instructif : rien n'était favorable à elle face aux poids-lourds de la politique qu'étaient, au sein du parti socialiste, Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry. Et pourtant, elle les a pris tous de court en 2006 grâce à une bonne dose de marketing et de communication, et même si elle a échoué face à Nicolas Sarkozy en 2007 (la dernière victoire présidentielle de LR !), elle a fait toutefois un score très honorable qui pouvait la conduire au leadership de l'opposition (ce ne fut finalement pas le cas). François Hollande aussi, en 2011, n'avait aucune stature par rapport aux autres éléphants du PS, il n'avait même jamais eu de responsabilité ministérielle (comme aujourd'hui Éric Ciotti), et il a quand même gagné, non seulement la primaire socialiste mais également l'élection présidentielle de 2012.
C'est pourquoi cette élection du prochain président de LR est passionnante, car de celle-ci s'articulera sans doute toute l'évolution des pôles des partis de gouvernement dans les cinq prochaines années en France.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 décembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Présidence de LR : Ciotti vs Retailleau au cœur du système.
Présidence de LR : trois têtes pour un fauteuil.
Bruno Le Maire.
Patrick Balkany.
Claude Malhuret.
Xavier Bertrand.
Bruno Retailleau.
Caroline Cayeux.
Christophe Béchu.
Aurélien Pradié.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221204-les-republicains.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/presidence-de-lr-ciotti-vs-245347
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/12/02/39731521.html