Je me sens devant ce livre comme un enfant, un qui ne parle pas, qui entend d’abord un volume sonore, puis, peu à peu, parvient à isoler des mots, du langage, l’intégrant — ou faudrait-il dire l’ingérant ? —, pour à son tour dire ces mots. Les parents se réjouissent. Savent-ils qu’ils — eux-mêmes après leurs parents — reproduisent un schéma d’autorité, d’obéissance ? C’est ce qu’affirme Luc Bénazet dans ce livre :
« La langue que je parle est d’abord la langue parentale — d’abord et aussitôt la langue nationale. Elle est le lieu de la communauté imaginaire. »
Et il affirme à la ligne suivante :
« L’apprentissage de la langue parentale est matrice de l’obéissance. »
Ainsi donc la langue ne libère pas mais est un instrument d’oppression. Luc Bénazet est poète : quels mots utiliser donc ? Comment parler pour être libre ?
Il m’arrive souvent, quand j’écris avec un clavier, de briser un mot, de le tordre involontairement, de chercher en tâtonnant à le former selon les règles du dictionnaire, c’est-à-dire sans faute. Par exemple, là où Luc Bénazet écrit : « écote » et plus loin « écoute », j’écris moi-même « école » et plus loin « écoule ». Est-ce que le dictionnaire m’aide ? « Le dictionnaire est l’image trompeuse d’un lieu commun qui existerait pour tous », met en garde Luc Bénazet.
Ce livre tente « des formes par dislocation, plutôt qu’agglutinées ». Ou même, on pourrait dire : par dislocution.