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Histoire de la broderie, partie 1

Publié le 01 décembre 2022 par Anniecac @AnnieCdeParis

La broderie est une technique d’ornementation qui consiste à ajouter sur un fond préexistant, généralement du tissu, un décor à plat ou en relief. L’élément de base en est le point, c’est-à-dire la partie du fil (soie, laine, coton, métal ou autre) qui demeure à la surface de l’étoffe. Que ce soit sur le plan des matériaux utilisés ou sur celui des techniques, il est difficile de parler d’une évolution de la broderie, qui irait de l’art primitif à l’art contemporain : en effet, des ouvrages fort anciens montrent souvent une plus grande élaboration que des travaux récents ; quant à l’invention des points de base, elle n’est plus à faire. On note toutefois une fréquente correspondance entre la broderie et les mouvements artistiques d’une époque.

Premiers souvenirs – Peu de domaines ont été davantage sujets aux interpénétrations que celui de la broderie ; il est donc impossible de dresser un arbre généalogique qui en cataloguerait toutes les influences. On évoquera cependant l’apparition du fil et de l’aiguille dès la préhistoire, puis le rôle de Sumer et Babylone dans le développement du tissu brodé, l’influence de l’Egypte, et enfin l’importance de Rome et du pourtour méditerranéen, la broderie ayant tenu très tôt une place considérable dans les échanges culturels.

L’aiguille à chas apparut quinze mille ans avant JC, à l’époque solutréenne (paléolithique supérieur). Les crins de chevaux et tendons de rennes, divisés puis enfilés, servaient à coudre ensemble les morceaux de peau. La découverte des grands sites préhistoriques de l’Europe septentrionale, nord-occidentale et centrale nous a appris que le mouton et la chèvre constituaient l’essentiel des cheptels, fournissant ainsi non seulement la nourriture, mais également les toisons à l’origine des premiers fils et tissus. Les voies commerciales esquissées dès le paléolithique supérieur se développèrent aux âges du bronze et du fer. Les matériaux propres à la réalisation du vêtement servaient vraisemblablement de monnaie d’échange entre peuples nomades et sédentaires.

Les ouvrages les plus anciens que nous connaissions à ce jour sont, d’une part, les bordures qu point de feston d’une tunique scandinave datant du début de l’âge du bronze et découverte au Danemark, et d’autre part, des applications de cuir et de feutre trouvées en Sibérie dans les monts Altaï, d’où leur nom de « broderies altaïques ». Œuvres de nomades, celles-ci datent du IVème siècle avant JC ; la première, qui orne une housse de selle, représente des griffons, l’autre, une tenture murale, figure un cavalier sur sa monture. Avant cette date, l’existence de la broderie nous est essentiellement rapportée par les textes et les bas-reliefs. Ainsi, grâce aux sculptures de Sumer et de Babylone, nous pouvons suivre l’évolution de l’ornementation qui s’étend peu à peu à tout le vêtement. En Assyrie, les tenues ou étoffes de laine sont fréquemment mentionnées dans les textes anciens. Les tissus brodés reflétaient un goût certain pour le luxe et la couleur. La pourpre, colorant extrêmement recherché dans le monde antique, faisait déjà apprécier les étoffes qui venaient de cette région ; sa rareté conférait un caractère précieux à cette couleur, souvent réservée aux dieux et aux rois.

Dès les temps les plus reculés, les Egyptiens utilisèrent, pour tisser les étoffes, certaines plantes à tiges, comme le chanvre et le lin, dont l’écorce se laissait diviser en longs filaments. Le lin, en particulier, fournissait une toile qui se blanchissait si bien qu’il était considéré comme le symbole de la pureté ; il servait pour la confection des tissus destinés aux vêtements et aux voiles des navires. Les broderies les plus anciennes, découvertes dans les tombeaux égyptiens, sont indifféremment monochromes ou polychromes ; elles prouvent l’existence de tous les points à cette époque. Le Victoria and Albert Museum de Londres conserve, par exemple, une tenture murale ornée d’un semis d’arbres brodés en laine, sur un support de toile, au point de chaînette. On distingue également des broderies sur les sarraus des reines d’Egypte représentées sur les murs des nécropoles.

L’intérêt de ces témoignages est indiscutable, mais c’est surtout par les textes que nous connaissons les somptueux ouvrages de l’antiquité. Les Egyptiens avaient précédé les Juifs dans l’art d’orner les étoffes et enseignèrent à ces derniers la pratique de la broderie. Pendant l’Exode, Moïse fit réaliser pour le Saint des Saints un voile de lin retors, brodé de chérubins de couleurs pourpre, violette et cramoisie. Le vêtement d’Aaron, tel qu’il est décrit, témoignage lui aussi d’une magnificence de broderie : « La ceinture est faite d’ouvrages de broderie, l’éphod est en tissu de lin de différentes couleurs entrelacées d’or, la tunique est brodée d’or, d’hyacinthe, d’écarlate et de cramoisi ainsi que les petites grenades entremêlées de clochettes d’or qui ornent la base du vêtement ».

A l’époque où la Méditerranée voyait s’épanouir cet art, celui-ci s’était déjà développé depuis la plus haute antiquité dans les pays orientaux. C’est par le littoral de la Phrygie (en Asie Mineure) que les oeuvres brodées s’exportaient vers la Grèce et Rome, au point que plus tard, à Rome, on désignait les brodeurs sous le nom de phrygio. D’après Ernest Lefébure, auteur du XIXème siècle qui a fait autorité en matière de textiles, un ouvrage d’or était appelé auriphrygium, mot qui serait à l’origine du français « orfroi », par lequel on désigne les bandes brodées d’or, posées sur les chapes, les chasubles et autres vêtements religieux.

Les caravanes venant du Gange et de l’Indus apprirent aux peuples du nord-ouest de l’Asie, puis aux Egyptiens à utiliser le coton, dont le rôle fut important aussi bien dans le tissage que dans la broderie. Les mousselines confectionnées aux Indes étaient si fines, si transparentes, qu’on leur donnait des noms poétiques : eau courante, tissu d’air, brouillard du soir ; elles étaient soigneusement brodées. Conduits par Alexandre le Grand, les Grecs découvrirent le coton en 333 avant JC. Outre les célèbres « grecques » (motifs géométriques réguliers brodant les tuniques), on connaît la beauté des ouvrages chantés par Homère. Dans L’Iliade, il évoque Hélène traçant une broderie sur une grande toile blanche comme l’albâtre ; dans L’Odyssée, il décrit Ulysse, vêtu d’un ample manteau pourpre de laine fine et moelleuse, dont le devant est orné d’un limier tenant avec force sa proie encore palpitante. Ces descriptions révèlent une connaissance approfondie de l’art de la broderie.

La tradition prête à l’Asie l’idée de mêler l’or et l’argent aux fils de couleur. Il fallait, pour cela, battre ces métaux précieux au marteau, afin d’obtenir une feuille très mince, que l’on découpait ensuite en petits rubans étroits appelés lames.

Sous Jules César, Rome enrichit cet art décoratif d’un matériau jusqu’alors inconnu sur le continent européen : la soie. Virgile, l’un des premiers, évoque son prix fabuleusement élevé : la soie valait, au sens strict, son pesant d’or. La culture de cette matière, appelé aussi « fil divin », commença en Chine 1200 ans avant JC ; elle fut utilisée en Perse, en Inde et en Egypte, peu de temps avant notre ère.

Le goût pour l’ornementation des étoffes, très développé à Rome, aussi bien pour les toges triomphales des hauts dignitaires, teintes de pourpres et bordées d’une bande de broderie d’or, que pour le costume féminin, atteignit un degré inégalé, lorsque le siège de l’Empire fut transporté à Byzance, au début de l’ère chrétienne. De véritables cuirasses couvertes de ciselures d’or, enchâssant des pierreries, masquaient le corps et se portaient sous des manteaux ornés de pièces d’étoffe, elles-mêmes agrémentées de broderies et de perles. Sculptures, céramiques, peintures et textes mettent en évidence la subtilité des décors ouvragés, qui se répandirent grâce aux ateliers établis à Byzance. Ceux-ci formèrent les ouvriers européens, qui devaient, par la suite, pratiquer longtemps ce travail sans s’affranchir de l’esprit oriental.

A lire sur le site http://www.anniecicatelli.com


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