Un petit Bobin, à nouveau, pour continuer à se régaler de le lire et de le découvrir. Quelques textes, courts, autant d'instants saisis par l'écriture. On y croise des femmes, des arbres, une télé, du repos, des conférences, de la lumière, des joies et des peines, toute la beauté simple de la vie. Coup de cœur pour la première nouvelle, qui est une lettre à la lumière.
"Vous alliez partout dans la même seconde, comme une enfant riante. Vous étiez l'image d'une vie détachée de soi, prodigue d'elle-même et parfaitement nonchalante quant à ses lendemains. Pendant que les enfants, dans leur école, recevaient une leçon de musique, je recevais de vous une leçon de bonté : c'est à votre image que j'aimerais aller dans la poignée de jours qui m'est donnée, madame, c'est avec votre gaieté et votre amour insoucieux de se perdre.
Nous ne cherchons tous qu'une seule chose dans cette vie : être comblés par elle – recevoir le baiser d'une lumière sur notre cœur gris, connaître la douceur d'un amour sans déclin. Être vivant c'est être vu, entrer dans la lumière d'un regard aimant : personne n'échappe à cette loi, pas même Dieu qui est, par principe, parce qu'il est le principe supposé de tout, hors la loi. La Bible n'est que l'inventaire des efforts insensés de Dieu pour être entrevu de nous, ne fût-ce qu'une seconde, ne fût-ce que d'un seul homme et cet homme fût-il un bon à rien ou un gardien de chèvres abruti de solitude et de mauvais vin. Tout y passe. Tout est bon à Dieu pour attirer notre attention sur lui, de la grande machinerie des déluges et des orages avec leur vacarme de fer-blanc, jusqu'aux gémissements à peine audibles d'un nouveau-né couché sur la paille, bercé par la respiration besogneuse d'un âne et d'un bœuf."
"La vérité, on ne peut l'avoir, seulement la vivre. La vérité c'est vous, madame : de la lumière qui vient, de la lumière qui passe"
"L'intelligence est la force, solitaire, d'extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi"
"Ce n'est pas l'encre qui fait l'écriture, c'est la voix, la vérité solitaire de la voix, l'hémorragie de vérité au ventre de la voix. Est écrivain toute personne qui ne suit que la vérité de ce qu'elle est, sans jamais s'appuyer sur autre chose que la misère et la solitude de la vérité."
"Nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et rien d'autre"
"L'arbre est devant la maison, un géant dans la lumière d'automne. Vous êtes dans la maison, près de la fenêtre, vous lui tournez le dos. Vous ne vous retournez pas pour vérifier s'il est bien toujours là – on ne sait jamais avec ceux qu'on aime : vous négligez de les regarder un instant, et l'instant suivant ils ont disparu ou se sont assombris. Même les arbres ont leurs fugues, leurs humeurs infidèles. Mais celui-là, vous êtes sûr de lui, sûr de sa présence éclairante. Cet arbre est depuis peu de vos amis. Vous reconnaissez vos amis à ce qu'ils ne vous empêchent pas d'être seul, à ce qu'ils éclairent votre solitude sans l'interrompre."
"Un peintre c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence"
"Pour la gloire d'être aimé. Cette réponse, toujours l'avez entendue. Elle vaudrait pour les livres comme pour le reste, et ce serait pour cela qu'on fait tout ce qu'on fait - de l'argent, des enfants ou des livres : pour que l'argent, les enfants ou les livres ramènent sur vous l'amour qui manque. Parents qui mendient à leurs enfants une force pour vivre. Ecrivains qui réclament à voix d'encre le baiser d'une lumière. Oui cette réponse toujours vous l’avez entendue, et toujours elle vous a paru fausse, ou bien d’une vérité infirme, bonne pour les mauvais parents, bonne pour les mauvais écrivains. On ne peut rien faire pour être aimé – ou alors seulement de mauvaises choses, des livres ratés, des enfants inachevés. L’amour n’est pas mesurable à ce qu’on fait. L’amour vient sans raison, sans mesure, et il repart de même."
"L'enfer c'est cette vie quand nous ne l'aimons plus. Une vie sans amour est une vie abandonnée, bien plus abandonnée qu'un mort"