Sylvain Tesson, écrivain voyageur, nous offre avec « Blanc » son récit de la traversée des Alpes à ski en quatre hivers, et nous livre aussi bien une ascèse qu’une invitation au voyage.
Le postulat de départ de ce récit est simple :
Il avait son idée : nous partirions en hiver de la mer Méditerranée où sombre la montagne dans des gerbes de palmiers. Nous remonterions vers le nord-est, suivant la courbure de la chaîne, jusqu’à Trieste, ville impossible de l’Adriatique où la convention fixe la fin des Alpes. En chemin, on resterait au plus près de la crête axiale. Nous dormirions dans les refuges, les abris. Ce serait une chevauchée, mais à ski, entre deux mers. Rien que la neige ! Il y aurait des centaines de kilomètres à arracher, mètre après mètre. Cela sonnait comme un travail de forçat. En réalité, c’était une aubaine : la définition du bonheur est d’avoir un os à ronger.
C’est donc sur le papier, le projet que Sylvain Tesson a rigoureusement planifié et qui durera quatre années. Cependant dans ce genre d’aventure il y a parfois quelques détours entre le rêve et la réalité, pour ne pas dire une montagne. Car comme le dit Tesson lui-même : « Nous aimions relier des lieux inaccessibles par des endroits infranchissables.«
Au départ de cette aventure prévue à deux, un désir de réalisation de soi, pas nécessairement un exploit mais pour Sylvain Tesson et Daniel du Lac le plaisir de partir ensemble avec ce défi de relier Menton à Trieste en suivant l’arc alpin par les crêtes. Un troisième montagnard rejoindra la cordée en cours de route, Philippe Rémoville, une rencontre simple, qui apportera au récit une dimension supplémentaire et au groupe une dynamique nouvelle. Car en effet les protagonistes ont tous les trois des caractères différents et un rôle défini dans la cordée.
Sylvain Tesson a confiance dans ses partenaires, son handicap physique, hérité d’un accident passé, le gêne mais n’est jamais un frein. Les moments de tension et d’angoisse sont à leur paroxysme lorsqu’ils franchissent des pentes instables, déclenchent des coulées de neige, cramponnent sur des pentes à plus de 45°. Le récit nous fait ressentir la peur qui est parfois présente, les décisions qui engendrent le demi-tour synonyme de sagesse mais qui n’est pas un abandon ou un échec.
Ce récit poignant nous emmène dans cette expédition de 85 jours à travers les Alpes, à travers 4 pays, à travers les frontières qui évoquent à l’auteur :
Cette excitation de passer une frontière. Ces lignes ne se réduisaient pas à de simples abstractions. Elles distinguaient objectivement les mondes, confirmant que leur existence n’était pas pure convention. de part et d’autre, les langues, les habitudes, les conversations et les rapports au ciel, à l’amour et à la mort n’étaient pas les mêmes. »
En tant que randonneur, passionné de cette pratique de la montagne depuis de longues années, on mesure la dimension que revêt la réussite d’un tel projet malgré quelques aléas. Le rêve d’une vie pour nombre de pratiquant se voit coucher sur le papier par Sylvain Tesson. Ce n’est pas le récit de la performance qui l’emporte mais bel et bien celui de l’humilité face aux éléments auquel il se confronte. Il fait état de la simplicité des rituels basiques et néanmoins essentiels que le refuge du soir offre et impose à celui qui le rejoint.
Sylvain Tesson lors de sa traversée des Alpes (photo : Daniel du Lac)Divisé en petits chapitres résumant chaque étape de cet immense raid à ski, l’ouvrage est l’occasion pour Tesson, de laisser glisser sa pensée au rythme lent des peaux de phoques et de l’itinérance entre refuges et autres bivouacs d’altitude. Les jours s’enchaînent. « L’esprit oublie vite les souffrances du corps, écrit Tesson. C’est le ressort de la vie : effacer et recommencer. »
La montagne est aujourd’hui magnifiée principalement au travers des performances extraordinaires dont le chronomètre ou le nombre de like sont les seuls juges. Sylvain Tesson nous propose un retour aux sources, où le stylo sur un carnet couche des émotions simples, authentiques, qui permettent de retranscrire pleinement ce que tout randonneur perçoit quand il prend le temps de lever la tête et d’observer sur son chemin ce que la montagne lui offre.
L’innovation n’a pas sa place dans ce monde amical. La technique offre procure ce qu’il faut. La technologie procure ce dont on ignore avoir besoin.
Comme il nous en a souvent habitué, le récit de Sylvain Tesson s’apparente à la littérature de voyage tout en se permettant de philosopher et poétiser son expérience intime. En ce sens, Blanc est un texte cristallin et dépouillé. Sylvain Tesson en racontant son épopée à ski rédige une ode fougueuse à la nature virginale, aux paysages enneigés et isolés, à la littérature et à la liberté. Et autant dire qu’avec cet ouvrage, on est au comble de la liberté, dans ce qu’elle a de plus pure.
Je n’ai jamais toujours su trouver les mots pour expliquer à des amis ou mêmes à certains proches ce qui pouvait m’animer à partir dans cette itinérance que tout raid à ski offre. Sylvain Tesson trouve les mots pour décrire parfaitement ce que l’on peut chercher dans cet effort et isolement social.
Il existe au ski une préséance de la trace, un plaisir de passer le premier. C’est une défloration de l’éphémère, vice inoffensif.
Tout randonneur amoureux de sa pratique devrait avoir dans sa bibliothèque ce roman. Merci M. Tesson, quel beau moment de lecture et de réflexion vous nous offrez en ce récit.
Raid à ski : aller de feu en feu par les couloirs du vent.