En juin 2005, à la mort de Jean-Marie Maulaz, le fameux boucher d'Abondance, j'avais fait un texte à la mode de Georges Perec que l'on peut trouver ici. J'apprends que sa femme est décédé le 19 novembre. Informé trop tard je n'ai pas pu me rendre aux funérailles.
En souvenir, je remets une version un peu modifiée de mon texte.
Thérèse
Requiescat In Pace
Je me souviens
D’un boucher et de sa femme Thérèse,
Ils travaillaient 15 heures par jour,
Elle au magasin, lui au laboratoire.
Ils faisaient les meilleurs saucissons de Savoie.
Je me souviens
De son fils Jean, un grand pote à moi,
Il avait deux ans de plus que moi et tout mon respect.
Je me souviens
Que l’on enfilait la chair à saucisse dans des boyaux
A l’aide d’une machine ronde
Dont je tournais parfois la manivelle.
Je me souviens
De l’immense cheminée fumoir
Où pendaient jambons et saucissons
Lentement fumés à la branche de genièvre
Je me souviens
Qu’avec Jean on nourrissait les lapins,
Qu’il se faisait de l’argent de poche
En vendant les peaux
Séchées sur une branche de noisetier.
Je me souviens
Que chez Thérèse il y avait le seul téléphone du quartier,
Un lourd appareil en ébonite relié à l’opératrice,
Elle-même reliée au 22 à Asnières.
Quand ma mère téléphonait,
J’avais une furieuse envie d’appuyer sur le contacteur en alu.
Je me souviens
Des deux machines à laver en démonstration chez Thérèse
Une à tambours, l’autre à rouleaux.
La nouveauté. Comment choisir ?
Je me souviens
Que, lapins soignés, saucisses faites,
On jouait à la petite guerre dans la forêt sous le Jora
Avec les fusils en bois fabriqués par Georges,
Le fils du menuisier
Ou par Henri Besson le petit fils d’Atanase.
On croyait que les trous dans la forêt
Pour arrêter les blocs de rochers
Etaient des tranchées de la grande guerre.
Je me souviens
Que mon petit frère avait mis le feu à la forêt.
Je me souviens
Que, lapins soignés, viandes hachés, on organisait des
Jeux Olympiques dans le champ derrière la maison.
Le champ où avait rampé une grosse couleuvre
Que le faucheur portait en triomphe au bout de sa fourche.
Pour les jeux, c’était le poids hexagonal de deux kilos
De la boucherie qui servait au lancer.
C’était Jean qui gagnait toujours.
Je me souviens
Qu’avec Jean, on écoutait à la radio
Les matches de foot le mercredi,
Puis les pièces de théâtre le mardi ou le jeudi.
On en parlait longtemps avant de se coucher
A travers la petite lucarne qui reliait les deux maisons
Je me souviens
Que c’est grâce à Jean que j’ai lu AJ Cronin
La citadelle, les clés du royaume…
Est-ce qu’on lit encore A.J. Cronin,
Archibald Joseph et ses histoires de médecins ?