Critique de Demain la revanche, de Sébastien Thiery, vu le 10 novembre au Théâtre Antoine
Avec Brigitte Catillon, Jean-Luc Moreau, et Gaspard Proust, mis en scène par Ladislas Chollat
Après plusieurs faux départs, Demain la revanche a finalement joué sa première le 5 novembre dernier. Avec pas moins de deux changements de comédiens pour le rôle du père, la pièce semblait maudite. Je ne vais pas vous mentir, je n’étais franchement pas très confiante. Je ne suis ni une grande fan de Sébastien Thiery, ni une grande fan de ces têtes d’affiche qui font leur premiers pas sur scène et qu’on met en avant. Je dirais même que j’ai tendance à les attendre au tournant… pourquoi je me retrouve à voir ce spectacle, me direz-vous ? Parce qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, et que je suis la première à souhaiter me tromper. J’adore me tromper. Et bingo, ce soir, je m’étais trompée.
La pièce s’ouvre, comme souvent chez Sébastien Thiery, avec une situation absurde : Matthieu, 39 ans, débarque chez ses parents en pleine nuit persuadé qu’il est encore en terminale. Ses parents accusent le coup face à cette amnésie soudaine mais finissent par lui avouer la vérité sur son âge. Que se passe-t-il en nous lorsqu’on encaisse 20 ans un peu trop soudainement ? Que fait-on de nos rêves ? Comment juge-t-on la personne qu’on est devenu ? Et surtout : à qui incombent nos succès et nos échecs ?
Pendant la scène d’exposition, je suis encore un peu partagée. On n’est plus vraiment surpris par cette étrangeté qui est devenu la marque de fabrique de Sébastien Thiery. Elle deviendrait presque contre-productive quand on sait que le mystère initial ne sera pas forcément résolu en bonne et due forme. On rigole un peu, la situation apporte quelques belles répliques, mais cela reste encore un peu répétitif. On tourne en rond autour du mystère, il est temps d’avancer.
© Fabienne RappeneauEt peu à peu le propos s’installe et Sébastien Thiery transforme l’essai. On n’est plus en simple absurdie, on est dans une vraie comédie dramatique familiale grinçante… et avec un vrai fond, qu’on ne divulgachera pas. Et ça fonctionne bien, on rit franc, on rit jaune, on se reconnaît et on prend assez vite parti, on soutient son poulain et on s’insurge avec lui des répliques des autres. Bref, ça marche.
Et ça marche aussi parce que les comédiens tiennent parfaitement leurs rôles. Brigitte Catillon est souveraine. Elle porte les échanges avec une classe et une autorité naturelle incontestables. A ses côtés, Jean-Luc Moreau est un père désemparé touchant, qui encaisse les coups avec une belle endurance. Gaspard Proust, enfin, est plutôt une belle surprise. Il est évidemment plus mécanique que ses partenaires, sa palette est moins développée, mais il faut bien le dire : il joue. Sa composition légèrement brutale et vindicative fonctionne bien et équilibre parfaitement le trio.
Ceci étant on pourrait avoir le même propos, avec les mêmes échanges, les mêmes idées, les mêmes critiques, sans cette étrange situation initiale. C’est presque une fausse piste : elle ne mène en réalité nulle part. On a un début, un milieu, et une fin, qui sont comme collés l’un à l’autre, sans continuité véritable. L’ensemble ne forme pas un tout. Pourtant, léger changement par rapport à d’habitude, le spectacle parvient à se terminer. Et entraîne même une légère interrogation sur l’intention véritable de la scène initiale. C’est intrigant et malin, mais ça laisse un léger goût d’insatisfaction. Un léger goût d’insatisfaction, un léger goût de surprise, un léger goût de profondeur. Décidément, Sébastien Thiery ne fait rien comme tout le monde.
La revanche de Sebastien Thiery porte bien son nom. De quoi donner envie de revenir à son théâtre.
© Fabienne Rappeneau