Après avoir fait plaisir à Maxime Pisano, hier, en proposant ma lecture de la contribution de Martine Aubry, je vais satisfaire un autre collègue, aujourd’hui, en décortiquant la contribution de la Nouvelle Gauche, conduite par P. Larrouturou.
Enfin…le satisfaire…attendons de voir !!
C’est une contribution qui ne s’embarrasse pas d’envolée lyrique et de belles intentions sur les valeurs de la gauche. On pourra lui reprocher de n’être pas tout à fait inspirée, ou habitée…Mais on ne peut pas lui reprocher de piétiner avant d’entrer dans le vif du sujet.
En plus, les arguments avancés sont bétons : si vous avez eu l’occasion d’écouter ce midi sur France Inter, l’émission « Ça vous dérange », sur le temps de travail, voilà l’argumentaire qu’il aurait fallu développer en face de la théorie étrange des « cigales (« ceux qui préfèrent rester au lit ») et des fourmis » de M. Godet, qui était au téléphone. (Au passage, vous pouvez faire part de tout ce qui vous dérange dans l’émission de demain…Profitez-en !)
Si on résume les idées de la Nouvelle Gauche, en gros : la baisse de la part des salaires dans le PIB est bien antérieure aux 35h remises en cause par Sarkozy. De plus, elle est mondiale.
Par conséquent, il faut chercher le problème ailleurs.
Dans le chômage, par exemple. Sarkozy et sa fine équipe nous assurent que le chômage, c’est fini.
Pourtant, ces deux problèmes – temps de travail et chômage – sont les clés de voute du système. C’est en comprenant leur fonctionnement qu’on explique les difficultés de notre système de santé et de retraite. Moins les gens travaillent, moins ils cotisent et le système s’effondre. Les gens n’osent plus négocier leurs conditions de travail auprès de leurs employeurs, à cause du chômage qui les guette, ils travaillent donc moins, ils gagnent moins, donc, ils cotisent moins et le système se fragilise. C’est un constat. Si on ajoute à cela, un nombre de trimestres plus grand pour pouvoir toucher une retraite à taux plein, mais des seniors ne trouvant pas d’emplois donc touchant moins de retraite par la Sécu, on se rend compte que les gagnants sont…les assurances et les mutuelles privées.
La contribution n’est pas sans rappeler qu’un certain Guillaume Sarkozy est le directeur général d’un groupe d’assurances-santé et retraite…
Alors, le plein emploi, c’est pour demain ? Encore une fois, on nous ment, on nous spolie. Les emplois créés dont on nous vante le mérite sont le plus souvent des emplois à temps partiel. En moyenne, 12h/semaine. Le pied. Ne vaudrait-il pas mieux faire 35H ? Le modèle allemand n’est pas le bon. Les réformes du travail proposées par Sarkozy et s’inspirant de la réforme Hartz sont une catastrophe annoncée. Si on regarde de près, ce n’est pas mieux aux Etats-Unis, c’est tout aussi désastreux en Angleterre, au Japon et même en Chine…
Bref, le constat est sans appel : la situation des pays occidentaux est loin d’être brillante et ce qui guette, à plus ou moins long terme, c’est une crise semblable à celle de 1929.
L’intérêt de cette contribution, c’est qu’elle dresse un panorama général et documenté sur la situation du capitalisme libéral et dérégulé que nous connaissons.
La seconde partie, « Comment agir ? », par d’ailleurs de ce constat : impossible de trouver des solutions au niveau national quand le problème est mondial.
Cette deuxième partie se résume en 10 questions qui battent en brèches des idées reçues.
1) « Etes-vous d’accord pour que, à l’issue de son Congrès, le PS organise sans tarder avec l’ensemble des socialistes européens (ceux qui sont au pouvoir et ceux qui n’y sont pas) une grande Conférence internationale pour définir de nouvelles règles du jeu en matière monétaire et financière ? » Autrement dit, il faut réunir un nouveau Bretton Wood.
2) « Pour leur donner un minimum de culture économique, souhaitez-vous que le PS abonne Nicolas Sarkozy et les dirigeants du Medef au Figaro ? Ça leur éviterait de dire trop de blagues en économie ! » Autrement dit, les problèmes actuels ne sont dus ni à la mondialisation comme l’affirme l’extrême gauche, ni à un manque de productivité de la France comme l’affirme le MEDEF. Et donc : « Etes-vous favorable à la négociation d’un véritable Traité de l’Europe sociale comprenant des critères de convergence sociaux aussi précis et contraignants que l’étaient les critères financiers du Traité de Maastricht ?[...] »
3) « Etes-vous d’accord pour [...] donner à l’Europe des ressources propres en créant un impôt européen sur les bénéfices, une éco-taxe et/ou une Taxe Tobin ? » Autrement dit, le dumping fiscal n’a jamais été aussi fort que ces dernières années, alors même que les entreprises engrangent des bénéfices toujours plus importants. Même les Etats-Unis ne font pas autant de dumping fiscal…
4) « Etes-vous d’accord pour [...] rééquilibrer les relations entre la Chine et l’Europe ?
» Autrement dit : la Chine ne respecte pas les normes environnementales en vigueur en Europe, ni les conditions de travail. De plus, la monnaie chinoise n’est pas évaluée à sa juste valeur. Nous devrons imposer les mêmes règles du jeu à la Chine ou taxer ses produits.
« La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. Il nous faut apprendre à vivre comme des frères ou nous préparer à mourir comme des imbéciles.» Martin Luther King…
5) « Doit-on toujours miser sur la croissance ? » La croissance ne pourra pas revenir massivement et en plus, dans les pays où la croissance est plus forte, la situation n’est pas meilleure. Autrement dit, la croissance tant espérée n’est pas la solution.
6) « Pour qu’aucune perte de pouvoir d’achat n’affecte plus les salariés, êtes vous favorables à la mise en place d’un système d’indexation des salaires semblable à celui qui existe au Luxembourg et en Belgique ? » Si ça marche pour eux, pourquoi ça ne marcherait pas pour nous ?
7) « Pour faire face à la crise du logement, faire baisser les loyers et dégager du pouvoir d’achat pour les locataires, êtes-vous favorable à l’utilisation d’une partie du Fonds de réserve des retraites pour construire massivement de nouveaux logements en s’inspirant de ce qu’on fait les partenaires sociaux aux Pays-Bas ? » Si ça marche pour eux...
8) « La productivité, pour quoi faire ? » Autrement dit, la modernité de nos systèmes industriels fait de notre pays un des premiers pour ce qui est de la productivité. Sarkozy nous ment quand il affirme que nous ne sommes pas assez travailleurs. Dans ce cas, la solution pour créer de l’emploi, c’est évidemment de baisser le temps de travail. La semaine de 4 jours est le point central de l’argumentaire de P. Larrouturou. C’est passionnant et je vous conseille de lire au moins ce 8ème point.
9) La contribution souligne la nécessité de faire un Europe qui ne soit pas seulement économique et libérale… (La négociation pourrait partir : 1. du projet de refondation démocratique développé en 2000 par Joschka Fischer, 2. du projet de Traité de l’Europe sociale rédigé en 2003 par quelques socialistes français avec le soutien de 400 personnalités de 9 pays, 3. du discours de Winston Churchill prononcé à Zurich en 1946 : il faut créer les Etats-Unis d’Europe… mais la Grande Bretagne n’en fera pas partie. Il n’y a aucune obligation d’unanimité !)
10) La démocratie au PS : le regret que les militants ne soient pas suffisamment entendus au sein du parti est énoncé. Mais aussi, la perte du nombre des militants. Le constat de P. Larrouturou va plus loin que celui de Martine Aubry : le PS va mal…tout aussi mal que la politique dans la société. Il va aussi beaucoup plus loin en ce qui concerne l’Internet et ses possibilités « horizontales » (contre une communication traditionnelle des médias qui est « verticale »)
En résumé et pour conclure, cette contribution est extrêmement enrichissante du point de vue économique. J’ai appris énormément en la lisant. Cependant, je reste sur ma faim en ce qui concerne l’environnement et les questions de société (l’éducation, notamment.)
Mais la réflexion sur le temps de travail et la façon de repenser l’économie au niveau mondial me semble pertinente et convaincante.
CC