Choix du mois de novembre 2022: le peintre d’origine juive polonaise Sam Szafran. J’avais déjà vu une partie de son oeuvre en Suisse, à Martigny, à la Fondation Gianadda. J’avais retenu ses escaliers…J’ai souhaité une nouvelle découverte, cette année, à Paris, au musée de l’Orangerie (jusqu’au 16 janvier 2023).
La série au fusain qui ouvre l’expo m’a plus tout de suite. Incroyable vision d’un lieu de travail et de création. Je suis entrée « à l’intérieur » de l’artiste! Cet atelier si minutieusement décrit, détaillé! Moi visiteuse, je suis totalement dedans. Autant que l’artiste lui-même. Question de « prise de vue »: j’ai réellement pénétré dans le lieu. Je devine qu’il y a des choses derrière moi, que je ne vois plus. Et je suis un peu en hauteur. Je surplombe. Je suis comme un mourant qui serait sorti de son corps et regarderait de haut la scène qui l’entoure!
L’Atelier de la rue du Champ-de-Mars (homme allongé)Au sol, grisaille, fouillis, poussière. Le plafond pèse lourd et prend de la place. La verrière est la seule source de lumière.
Plus loin dans l’expo, d’autres ateliers de Szafran. Celui de « la rue de Crussol », par exemple. La couleur y est présente cette fois. C’est du pastel sur calque. Et, justement, au premier plan, la collection multicolore de pastels, dont une partie se reflète en haut de la verrière, compose un tableau quadrillé un peu mystérieux. Sur une autre vue de cet atelier, ce seront des piles de livres, ouverts sur des illustrations. Des accumulations…Une chaise et une grande bassine, suspendues, semblent flotter au milieu de cet étrange univers serré, étroit, encombré, sombre…qui sent le papier et la craie.
De nombreuses versions de ses ateliers me sont proposées. L’artiste me fait en quelque sorte visiter sous tous les angles. Je tourne et retourne. Et tout ça dans le même espace. Szafran est le peintre des lieux clos. Parfois, les murs semblent se rapprocher. Et le plafond descendre. J’avance mon regard pour échapper au piège de l’étouffement…Mais les lignes de perspective éloignent le fond de la pièce…
Ces étonnantes visions d’ateliers sont suivies, dans les salles de l’expo, par les fameux escaliers de Szafran. En fait, je retrouve les mêmes sensations de lieux clos, et même de perte de repaires, de réalité malmenée. Là aussi je tourne. Le vertige me guette. Les escalier s’enroulent, se tordent. Pour pouvoir occuper le petit espace qui leur est dévolu, semble-t-il.
L’exposition se termine sur la série des philodendrons. Une plante envahissante, dans l’atelier qu’on prête à Szafran (celui de Zao Wou-Ki), dont il ne peut détacher son esprit. Fasciné, obsédé, il le peint de multiples fois, à l’aquarelle. Là encore, il adopte de nombreux points de vue. Et les feuillages qui prolifèrent sont rendus avec précision et réalisme. Mais le réel, où est-il vraiment? Je vois à nouveau une représentation de la réalité qui témoigne d’un homme mal à l’aise dans ce monde… Je sens quelque chose qui l’étouffe, ou l’enferme. Szafran s’est acharné au travail, à l’apprentissage de techniques successives. Il a accumulé les séries, répétant à l’infini le même sujet. Pourquoi? Consciencieux? Tenace? Perfectionniste? Ou juste à la recherche d’une façon de vaincre une réalité qui le gêne? En tout cas, je suis très touchée par cet artiste…
Atelier de la rue de Crussol (pastel sur calque)Cliquer sur les visuels pour agrandir