Souviens-toi du Joola
Auteur : Patrice Auvray
Éditions : Globophile (20 Août 2012)
ISBN : 978-2953896428
260 pages
Quatrième de couverture
Ce récit est un serment fait aux victimes de la plus grande catastrophe maritime de tous les temps et à leurs familles, celui de ne jamais les oublier, de ne jamais oublier cette tragédie. Le voudrait-il, comment Patrice pourrait oublier la disparition de Corinne sa compagne ? Comment pourrait-il oublier cette nuit invraisemblable sur la coque retournée face aux pêcheurs qui attendent des militaires l’autorisation de récupérer les survivants ? Comment pourrait-il oublier les centaines de personnes prisonnières des entrailles du navire qui n’ont pas été secourues ?
Mon avis
Bouleversant
26 Septembre 2002, le ferry « Joola » entreprend un trajet habituel de treize heures, entre Dakar et la Casamance. Ce voyage, il le fait quatre fois par semaine, car la mer est plus sûre que les routes où se trouvent les rebelles. Patrice Auvray est sur le bateau avec Coco, Corinne, sa compagne. Elle a déjà voyagé par ce biais, pour lui, c’est une première. Ils ont réservé une cabine car elle souffre d’une crise de paludisme. Ils observent les passagers qui s’installent, nombreux, très nombreux, les militaires qui arrivent sans billet et qui montent eux aussi sur le transbordeur….
La traversée commence et puis vers 23 heures, le drame. A quarante kilomètres des côtes, c’est le naufrage, à force de pencher (ce qu’avait remarqué Patrice Auvray), le navire coule. Les secours n’arrivent pas, les canots de sauvetage ne sont pas opérationnels, beaucoup de manquements à la sécurité (bâtiment pas entretenu) … Patrick et Coco essaient de nager, de trouver de quoi s’accrocher pour flotter….
Il y avait quatre fois plus de passagers que ce qui était autorisé. Le gouvernement sénégalais a, dans un premier temps, pris une position de déni, en disant aux familles qui attendaient l’arrivée que tout allait bien. Les naufragés, eux, doutent, va-t-on les aider ? 1863 morts, 64 rescapés …. Ce n’est pas la mer qui a été mauvaise mais bien la gestion d’un moyen de transport qui a été catastrophique !
C’est pour que ce drame (avec plus de décès que Le Titanic) ne soit pas oublié que Patrice Auvray témoigne dans ce livre exceptionnel et remarquable. Il explique les faits, donne son ressenti, analyse, et transmet ce qu’il a découvert après (les commentaires sont alors en italiques). Lorsque vous lisez « on vend des billets tant qu’on nous en demande », il y a de quoi être révolté ! Il y a d’excellentes réflexions sur les relations avec l’Afrique et les habitants de ce pays. Patrice y habitait mais il restait un toubab. Les africains sont assez fatalistes, deux mondes opposés …
C’est un an après qu’il a commencé à rédiger son texte et il lui a fallu cinq longues années pour trouver un éditeur. Cela s’explique, il pointe du doigt la négligence du gouvernement sénégalais et c’est le genre de choses qui dérangent…. Mais il s’était juré que les victimes ne tomberaient pas dans l’oubli alors il a écrit. Il a eu un fort sentiment d’abandon, comme d’autres qui ont survécu, comme si les autorités voulaient minimiser, taire les faits ….
Ce récit n’est pas larmoyant, on ne se sent pas voyeur, on est vraiment au cœur des événements avec le recul que s’est imposé l’auteur pour une observation fine et intelligente. J’ai notamment trouvé très intéressant ce qu’il dissèque sur la solidarité. Faut-il vivre des horreurs ensemble pour se soutenir ? Et jusqu’où peut aller l’entraide ?
La gestion de cette tragédie a été honteuse, choquante, indigne, le manque d’humanité m’a noué le ventre. Pourquoi tant de silences, de refus de reconnaître la réalité ?
Je n’oublierai pas le Joola et je remercie l’auteur et l’éditeur d’avoir pris pour l’un et publié pour l’autre, la parole d’un survivant.