13 reasons why. Soit 13 cassettes expliquant le terrible geste d'Hannah Baker. Et autant de raisons de s'interroger sur le contenu du livre.
Cela commence par celle d'Alex qui, stupide adolescent comme il en existe tant d'autres, rédige une liste classant les filles selon leur physique. Hannah est gratifiée du "Best Ass" et elle estime que la présence de son nom sur cette liste est la raison pour laquelle Bryce se permet de la harceler plus tard dans la même journée. Dès le début, son raisonnement est bancal puisque seul Bryce est responsable d'être un sale type et liste ou pas, le personnage est du genre à se permettre de mettre des mains aux fesses de ses camarades.
Plus tard, elle accuse Tyler d'être un stalker et raconte le moment où elle se rend compte qu'elle est espionnée, tard le soir dans sa chambre. Elle explique la disposition de ses fenêtres et des stores souvent entrouverts puis dit :
"Still, I wasn't dumb enough to change in front of the window. So I sat down on my bed. Click. [...] Or maybe it wasn't a click, I told myself. Maybe it was a creak. My bed has a wooden frame that creaks a little. That was it. It had to be a creak.
I pulled the blankets over my body and I undressed beneath them. Then I put on my pajamas, doing everything as slowly as possible, afraid whoever was outside might snap another picture. After all, I wasn't totally sure what a Peeping Tom got off on."
Je veux bien accepter le fait qu'elle ait peur, qu'elle n'ose pas appeler la police par crainte que le stalker n'existe que dans son imagination,... Je ne veux pas du tout atténuer la responsabilité de Tyler dans cette histoire. Toutefois, il me semble qu'il y a des gestes simples qui auraient pu préserver Hannah: fermer les stores, se changer dans la salle de bain, dormir ailleurs, appeler des amis,... Mais non. Son idée : se compromettre dans une mise en scène lesbienne avec une nana du lycée qu'elle connaît à peine. Puis reprocher à cette même fille l'inconstance de son amitié alors qu'elle est tout aussi versatile mais ne semble pas s'en rendre compte.
Je peux me tromper mais j'ai plus eu l'impression qu'Hannah sombre peu à peu dans la dépression et que blâmer tous ceux qui l'entourent pour leurs mesquineries et les souffrances absolues qu'ils lui infligent lui permet de ne pas s'interroger sur la véritable source de son mal-être. Et cela devient problématique si personne ne propose cette réflexion. Au lieu de ça, on a une adolescente présentée comme une héroïne tragique qui colle sa mort sur le dos de gamins immatures. Quand Zach s'amuse à subtiliser les mots destinés à Hannah, elle déclare, sur la cassette qui lui est réservée :
"You probably got sick to your stomach when you heard what I did. But the more time that went by, the better you felt. Because the more time that went by, the more likely your secret died with me. No one knew. No one would ever find out."
L'exagération peut se comprendre quand on saisit l'hypersensibilité d'Hannah et elle le souligne plus tard en disant :
"Maybe it didn't seem like a big deal to you, Zach. But now, I hope you understand. My world was collapsing. I needed those notes. I needed any hope those notes might have offered".
Oui, il a été stupide. Oui, il a fait une erreur. Mais il a seize ans et à cet âge-là, c'est dans la nature humaine d'être un peu débile. D'accord, Hannah a souffert de cette mesquinerie mais en blâmant Zach, elle lui fait porter le poids de son suicide et le tourmente tout autant, si ce n'est plus. Et ça, personne ne le souligne. Il n'y a pas de nuance de la part de Clay qui écoute et compatit, sans presque jamais se dire qu'elle a parfois eu tort. D'autant plus que, perdue dans sa spirale infernale, elle reste très autocentrée. D'un côté, elle refuse de s'ouvrir aux autres, d'expliquer sa souffrance et son mal-être. De l'autre, elle voudrait que tout le monde s'interroge/l'interroge sur ses plaies béantes mais invisibles. Par exemple, elle reste plantée sur le trottoir à côté de son ancienne maison et regarde l'homme qui y habite s'en aller: "Why he didn't stop, why he didn't ask why I was standing there staring at his house, I don't know." Peut-être qu'il avait autre chose à faire. Peut-être qu'il s'en foutait. Mais ça ne lui effleure pas l'esprit.
On en arrive au point clef de l'histoire : le viol de Jessica auquel Hannah assiste sans rien faire, incapable d'agir pour une obscure raison (trop d'alcool? Mais elle n'a pas tant bu. Le stress?) et elle titube vers le placard. Elle admet porter une partie de la responsabilité de ce qui est arrivé à Jessica, mais je la trouve très à l'aise pour se dédouaner. Je veux bien accepter toutes les conneries d'Hannah mais celle-là a un peu de mal à passer. Quand elle dit "That my mind was in a meltdown is no excuse" est justement une excuse pour justifier sa passivité dans son putain de placard. Et elle ajoute "I could have stopped it – end of story. But to stop it, I felt like I'd have to stop the entire world from spinning. Like things had been out of control for so long that whatever I did hardly mattered anymore." Suis-je la seule à avoir envie de hurler ? D'autant plus qu'elle a le courage sélectif puisque quelques instants plus tard, elle fait un scandale à la pompom girl qui a dégommé le panneau stop en la raccompagnant chez elle. Donc elle peut se permettre de faire des cassettes pour une pauvre liste sur qui est canon et qui ne l'est pas mais en trois phrases elle pense justifier sa passivité face à un viol? C'est beaucoup trop facile !
A la fin, elle se laisse couler au fond de l'abyme en acceptant de prendre un bain avec Bryce pour perdre sa virginité avec lui. Dans la série, il la viole mais dans le roman, la question du consentement est plus ambiguë. Elle dit : « But I, for the record, did nothing to stop you. » mais la façon dont la scène est décrite rend le passage gênant puisqu'Hannah voudrait faire croire qu'elle est consentante tout en laissant entendre qu'elle ne l'était pas.
« For everyone listening, let me be clear. I did not say no or push his hand away. All I did was turn my head, clench my teeth, and fight back tears. And he saw that. He even told me to relax.[...] But in the end, I never told you (Bryce) to get away... and you didn't. »
La dernière cassette est celle qui me paraît la plus malhonnête de la part d'Hannah. Elle prétend tenter une dernière fois d'appeler quelqu'un à l'aide (alors qu'elle a envoyé paître tout le monde, y compris Clay alors qu'il est adorable avec elle) en allant voir son conseiller d'orientation.
« I'm asking for help because I cannot do this alone. I've tried that. »
Peut-être mais assez mollement, il me semble. Je trouve sa démarche malhonnête parce qu'elle a déjà décidé de se suicider depuis longtemps, puisqu'il s'agit de la dernière cassette à être enregistrée et qu'elle parle de sa mort sur les 12 autres. Encore une fois, on dirait une tentative pour se dédouaner de toute responsabilité et de la lâcher sur le dos de son entourage (mais bizarrement, pas de ses parents alors qu'ils étaient aux premières loges). Le message de la dernière cassette m'apparaît ainsi : Mr Porter, si je suis morte, c'est à cause de vous parce que vous n'avez pas réussi à me sauver. Et maintenant, essaie de vivre avec ça.
Comme beaucoup, je pense, j'ai été séduite par la construction de l'intrigue, ces 13 récits enregistrés avec lesquels Clay, le narrateur, dialogue. Ce concept est d'ailleurs la force du roman et en même temps sa plus grande faiblesse car il faut remplir ces fameuses cassettes. Et les premières petites histoires d'Hannah, malgré tous les sentiments dont elles se parent, ne sont que des petites histoires et font office de vain bavardage pour amener à l'événement particulièrement traumatisant qu'elle a vécu. A travers le texte, on devrait comprendre que le personnage d'Hannah sombre dans la dépression à cause des misères que d'autres lui font subir et les cassettes se font très souvent accusatrices. Et à la limite, là n'est pas le problème puisqu'il s'agit de son point de vue et qu'il est subjectif. Ce qui me gêne, c'est que personne n'en prend le contrepied, essaie de réfléchir aux actes d'Hannah, aux erreurs qu'elle aussi a commises. Finalement, faire de Clay son interlocuteur ne paraît pas être un choix idéal puisqu'il abonde beaucoup trop en son sens et ne permet pas d'établir un point de vue plus nuancé, plus critique. Il me semble que Tony aurait été parfait pour endosser ce rôle mais l'auteur n'a semble-t-il pas jugé utile de creuser ce personnage.