Dans certaine contrée d'Angleterre, l'usage voulait autrefois que, lorsqu'un gentilhomme buvait à la santé du roi, il fit suivre son toast d'une sorte de sacrifice, par exemple, qu'il jetât dans le feu, quelque partie de sa parure ; et l'étiquette obligeait tous les convives présents à l'imiter, à livrer aux flammes la même partie de leurs vêtements, à sacrifier ce qu'il avait sacrifié.
Un jour que le baronnet sir Charles Sedley dînait en société, un plaisant de ses amis s'étant aperçu qu'il avait une très jolie cravate de dentelle, fit le sacrifice de la sienne en portant un toast au roi, et sir Charles, ainsi que le reste de la compagnie, fut obligé de suivre son exemple. L'amphitryon se borna à remarquer que la plaisanterie était fort bonne...
"Oui fort bonne, j'en conviens, mais j'aurai mon tour ! s'écria-t-il. J'aurai ma revanche !"
La semaine suivante, la même compagnie étant réunie à table, au moment de boire à la santé du roi, Sedley ordonna à un de ses domestiques d'aller dans le vestibule de la maison.
"Vous y trouverez, ajouta-t-il, un homme à qui j'ai donné rendez-vous : vous nous l'aménerez."
Cet homme, que Sedley avait ainsi convoqué, était un dentiste, et à peine fut-il entré que le baronnet le pria de lui extirper une dent qui, depuis longtemps, le faisait beaucoup souffrir. La coutume et les règles du savoir-vivre exigeant de façon formelle que chaque convive se conformât à l'exemple de sir Charles, les assistants commencèrent par protester, se récrier, et supplier leur ami de leur permettre d'enfreindre l'étiquette ; mais sir Charles fut intraitable.
"Je vous ai prévenus que j'aurais ma revanche, répliquait-il. Je la veux !"
Et chacun des convives dut se résigner et confier sa mâchoire à l'opérateur.