Cadre commercial, il rêve de musique et de gloire. Malgré ses efforts, rien ne fonctionne. Pourtant, il va tout plaquer pour poursuivre son rêve. Alors il crée un personnage, un Allemand méprisant et engoncé dans un costume à paillettes, version burlesque d'un Karl Lagerfiled de la musique qui crache son énervement dans un micro: Helmut Fritz squatte les ondes avec son "ça m'énerve". L'ascension est fulgurante, la foule en délire, les clubs, l'argent, l'alcool, les récompenses. Mais aussi, les choses qui lui échappe: un produit qu'on presse, qu'on exploite, qui le dévore. Un gros délire, efficace certes, mais assez loin des rêves musicaux et artistiques qu'il avait. Le doute et les angoisses se développent: Helmut est en train de dévorer Eric. Et puis, très vite, le public va se désintéresser d'Helmut Fritz. Et Eric sombre.
J'ai abordé Eric Greff au salon du livre de Saint Raphaël parce qu'il avait posé un panneau "Prix Goncourt 2023". Je suis restée quand j'ai pris conscience de qui j'avais en face de moi. Je me suis longtemps gargarisée d'avoir rencontré Helmut Fritz et acheté son autobiographie. Et au fur et à mesure de ma lecture, j'ai appris à remplacer le nom d'Helmut par celui d'Eric.
Dans ce témoignage, on retrouve tout l'humour déjanté du personnage d'Helmut Fritz bien sûr. C'est cinglant, c'est sarcastique. Les coulisses de la création d'Helmut Fritz sont d'ailleurs très instructives, entre hommage à la construction minutieuse d'un personnage artificiel et contrôlé et gros doigt d'honneur à l'industrie musicale. Le côté "behind the scene" fait toujours son petit effet et on est ravis de découvrir qui et quels mécanismes se cachent derrière ce projet artistique.
Mais très vite, le ton est bien plus amer. Dès le départ, on comprend que le projet de base n'était pas celui-là. Ce que veut Eric, c'est proposer sa musique, un vrai message, poser sa véritable voix. Ce désir revient comme un leitmotiv, toujours, et toujours, Helmut le rattrappe. J'ai un souvenir particulièrement vif de cette scène où, devant l'échec de ses projets artistiques, Eric doit accepter des petits boulots où il croise ses anciens collègues commerciaux, et dans laquelle son ego ainsi mis à mal va le pousser à créer Helmut. Ce livre, c'est aussi la lutte pour échapper à son doppleganger, son double maléfique qui l'entraîne dans une industrie destructrice pour mieux le laisser s'écraser au sol ensuite.
Les coulisses de l'industrie musicale sont un autre objet de ce livre, qui règle un certain nombre de comptes. On découvre le fonctionnement des radios, la manière dont elles font et défont les carrières et dont elles choisissent ce qu'elles passent sur leurs ondes. La concurrence entre les producteurs, les maisons de disques, et même des artistes au sein d'une même maison, était clairement la découverte d'un univers auquel je ne connaissais rien. Là encore, c'est particulièrement instructif et fascinant. Et glauque.
Enfin, et non des moindres, à la fin de ma lecture, j'ai eu envie de suivre Eric. J'ai été ravie de savoir qu'il avait créé un autre personnage musical, plus authentique, un autre projet avec des vrais textes. Je suis allée les écouter. J'ai eu envie de le soutenir, de le suivre. Dans ma tête, en tout cas, la renaissance d'Eric a eu lieu. Que ça soit le cas dans la tête de tout le monde, c'est tout le mal que je lui souhaite.
La note de Mélu:
Si vous voulez suivre les autres projets d'Eric Greff: ça, c'est lui.