C'est une évidence, si on se réfère aux espoirs que les dirigeants du parti d'extrême-droite mettaient dans les scrutins départementaux et régionaux, et à ce que leurs promettaient les différents instituts de sondage, les résultats sont pour eux non seulement une grande déception, mais un échec retentissant. Pourtant, lorsqu'il s'agit d'identifier les raisons de cet échec, il y en a une principale qui est reprise en cœur par les leaders nationalistes sur tous les médias : l'abstention phénoménale qui selon eux aurait touché leur parti plus que tous les autres.
On peut quand même douter fortement de cette affirmation, même si elle est reprise sans filtre par la plupart des journalistes ; et corroborée par les enquêtes d'opinion. Certes, l'abstention touche encore plus fortement les jeunes et les couches populaires que le reste de la population, catégories qui sont le cœur électoral du FN, encore faudrait-il préciser que ces catégories ne sont pas uniformes, quelles sont diverses, qu'il n'y a pas une jeunesse mais des jeunesses, comme il y a une multiplicité dans les couches populaires. Une autre grande caractéristique de l'électorat frontiste est qu'il est, plus qu'aucun autre, d'essence rurale ; Si l'abstention touche tout le pays (à l'exception notable de la Corse et des Outremers), elle est encore plus massive dans les grandes villes et particulièrement dans les banlieues populaires (82 % d'abstention à Roubaix, 80 % à Sarcelles, 78 % à Saint-Denis, 74 %, à Gennevilliers, 72 % à Créteil, 87 % à Vaulx-en-Velin, 82 % à Vénissieux, etc.), là où, à quelques exceptions près Marine Le Pen à fait ses plus mauvais résultats à la présidentielle (16 % à Roubaix, 11 % à Sarcelles, 10 % à Saint-Denis, 11 % à Gennevilliers, 10 % à Créteil, 16 % à Vaulx-en-Velin, 17 % à Vénissieux, etc.).
Bref, le recul de presque 10 points par rapport au scrutin régional précèdent et par rapport à ce que prédisaient les oracles sondagiers, ne peut être expliqué par la seule abstention. De même, la dédiabolisation du FN qui aurait si bien réussie au point d'en faire un parti comme les autres n'est pas complètement pertinente, ou alors comment expliquer que la peur de l'extrême-droite et le Front Républicain aient (certes dans une moindre mesure qu'auparavant) encore étaient efficients, notamment dans le sud-est ?
D'abord il faut mettre à mal deux idées qui sont considérées comme acquises et assénées comme vérité sur la plupart des médias.
Premièrement, on nous a rabâché depuis des années que l'électorat frontiste était l'un des plus motivé et qu'on était passé d'un vote de protestation à un vote d'adhésion aux idées frontistes. L'abstention qui a touché le FN comme les autres partis ( mais probablement pas beaucoup plus que les autres), démontre le contraire. Le fait qu'il n'y ait pas eu de rebond au second tour, malgré les injonctions impératives de Marine Le Pen, vient confirmer cette impression : le vote FN reste un vote de protestation.
Deuxièmement, il y aurait depuis la présidentielle une véritable dynamique du FN qui le verrait progresser à chaque scrutin. La vérité des urnes démontre le contraire, et le repli électoral s'est amorcé dès 2017 et les législatives. En effet, à cette élection le FN a certes élu 8 députés, mais il est en recul de 0.5 % par rapport à 2012 avec 13.2 %. C'est peu, presque rien, mais significatif pour un parti qui vient de se qualifier pour le second tour : il n'y a pas de dynamique. Les Européennes de 2019 viendront le confirmer : le FN reste le premier parti de France à ce scrutin, ce qui permet de masquer qu'il est en recul de 1.5 %. De même aux municipales, la prise de Perpignan, grande ville du sud, mais à l'histoire électorale particulière, permet de cacher la réalité : le FN échoue lourdement presque partout où il espérait diriger les exécutifs municipaux. Non seulement il n'y a pas de vague inexorable depuis 2017, mais c'est un reflux (du vote FN, pas forcément de ses idées malheureusement) que l'on constate. Les Régionales et Départementales, aidées par l'abstention, ont seulement confirmé cette impression.
Mais alors, comment expliquer cela, alors même que les idées du FN ont pignon sur rue, particulièrement sur les chaînes d'info, mais aussi sur les réseaux sociaux ? Comment expliquer cela alors même que les thématiques de Mme Le Pen et de ses sbires, l'immigration, l'insécurité, le terrorisme islamiste, sont au cœur du débat politique depuis des mois et des mois ?
Pour tenter un début d'explication, il faut essayer de comprendre comment le FN a pu passer de 4.8 millions d'électeurs en 2002 avec Jean-Marie Le Pen, à 6.4 millions en 2012 et 7.6 millions en 2017 avec sa fille. Pour moi, cette progression très forte porte d'abord et avant tout un nom : Florian Philippot.
Celui-ci, qui de 2012 à 2017 sera le numéro deux du FN mais qui dès 2011 était le principal conseiller de Marine Le Pen, a surtout été le principal moteur du changement de paradigme idéologique du FN. Souverainiste, c'est surtout pour sa volonté indéfectible de sortir de l'union européenne qu'il est resté dans les mémoires. C'est oublier qu'avant d'être au FN, Florian Philippot était un homme aux convictions de gauche, proche de Jean-Pierre Chevènement. Avec lui, le FN va sortir de sa doctrine ultra-libérale, chère au patriarche des Le Pen, pour insuffler un discours plus social, et partir à la conquête de l'électorat populaire de gauche, déçu du pouvoir socialiste. Ainsi, il défend les cheminots en grève en 2014, il ne manifeste pas contre le mariage homosexuel, il fait figurer la retraite à 60 ans au cœur du programme électoral, et réussit même à adoucir (un peu) les positions du FN en matière d'immigration (la page Wikipédia explique tout cela très bien).
Avec son éviction du parti en 2017, c'est la frange radicale du FN, la plus extrémiste qui a repris le pouvoir. Celle aussi qui en matière économique a remis le logiciel ultra-libéral au cœur de la doctrine frontiste. Depuis on constate que Marine Le Pen n'est plus aussi sûre de vouloir revenir sur les réformes des retraites (lepoint.fr), qu'à l'instar des libéraux et du gouvernement, elle est pour le remboursement de la dette, et qu'enfin, l'immigration et l'insécurité sont revenus au cœur de son propos.
2017, c'est le départ de Florian Philippot du FN, c'est aussi la fin de la dynamique du FN. La concordance des évènements est troublante. On peut quand même se poser quelques questions : et si, plus que l'abstention des classes populaires, c'était cet électorat populaire venu de la gauche, déboussolé et écœuré qui avait fait défaut à FN ? Et si cette dynamique là était sans retour et faisait en sorte que le FN se replie sur son socle électoral venu de la droite ?