Selon l’article L. 911-1 du Code de la sécurité sociale, l’employeur peut instituer des garanties collectives à l’égard de ses salariés en complément de celles qui résultent de la sécurité sociale. Les accords professionnels, négociés par les partenaires sociaux au niveau d’une branche professionnelle, ou les accords interprofessionnels qui réunissent plusieurs branches professionnelles, peuvent néanmoins imposer des garanties obligatoires pour leur champ d’application.
A ce titre, l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale précise que ces accords professionnels ou interprofessionnels sont dits « à haut degré de solidarité » lorsqu’ils instituent des « prestations à caractère non directement contributif », c’est à dire, d’après le quatrième point de ce même article, des « prestations nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur ». En d’autres termes, il s’agit des prestations dont l’attribution n’est pas strictement proportionnelle aux cotisations versées par le salarié et reposant sur un mécanisme de solidarité.
Pour exemple, ces prestations peuvent prendre la forme « d’une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d’une politique de prévention ou de prestations d’action sociale ».
Le quatrième point de cet article prévoit également que certaines de ces prestations « nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur » peuvent faire l’objet d’un financement et d’une gestion mutualisée pour toutes les entreprises entrant dans le champ d’application de l’accord professionnel ou interprofessionnel à haut degré de solidarité, « selon des modalités fixées par décret ».
Il aura fallut attendre un décret du 9 février 2017 pour voir les modalités de gestion mutualisée de ces prestations précisées, pour les accords conclus ou en cours de renouvellement. Ce dernier insère un nouvel article R. 912-3 au Code de la sécurité sociale rédigé en ces termes :
« Lorsqu’ils mettent en œuvre une gestion et un financement mutualisés des prestations nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur, les accords professionnels et interprofessionnels à haut degré de solidarité :
1° Définissent les prestations gérées de manière mutualisée qui comprennent des actions de prévention ou des prestations d’action sociale mentionnées à l’article R. 912-2 ;
2° Déterminent les modalités de financement de ces actions. Ce financement peut prendre la forme d’un montant forfaitaire par salarié, d’un pourcentage de la prime ou de la cotisation mentionnée à l’article R. 912-1, ou d’une combinaison de ces deux éléments ;
3° Créent un fonds finançant les prestations mentionnées au 1° et percevant les ressources mentionnées au 2° ;
4° Précisent les modalités de fonctionnement de ce fonds, notamment les conditions de choix du gestionnaire chargé de son pilotage par la commission paritaire de branche. »
Le nouvel article apporte donc des précisions sur les prestations pouvant faire l’objet d’un financement et d’une gestion mutualisés au niveau professionnel ou interprofessionnel (I), mais n’encadre pas entièrement les conditions de fonctionnement du fonds unique de solidarité (II).
I – Les prestations faisant l’objet d’une gestion et d’un financement mutualisés
La loi prévoyait une possibilité de gestion mutualisée de « certaines prestations nécessitant la prise en compte d’éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur ». Mais une interprétation stricto sensu du décret réduit le champ d’application aux seules « actions de prévention ou des prestations d’action sociale mentionnées à l’article R. 912-2 ». Pour autant, de telles actions peuvent couvrir un champ assez large.
- Les prestations citées à l’article R. 912-2 du code de la sécurité sociale : l’action sociale et les actions de prévention
L’article R. 912-2 du code de la sécurité sociale définit les mesures de prévention et les mesures d’action sociale.
Les premières regroupent les actions de prévention contre les risques professionnels ou contre d’autres objectifs de la politique de santé nationale ou professionnelle, notamment les comportements en matière de consommation médicale, les conditions de vie au travail et la santé des salariés.
Les secondes, dans un cadre collectif, renvoient, notamment, à « l’attribution suivant des critères définis par l’accord d’aides pour les salariés, les anciens salariés ou leurs ayants droit leur permettant de faire face à la perte d’autonomie, y compris au titre des dépenses résultant de l’hébergement d’un adulte handicapé dans un établissement médico-social, aux dépenses liées à la prise en charge d’un enfant handicapé ou à celles qui sont nécessaires au soutien apporté à des aidants familiaux ».
A noter que les contributions patronales visant à financer des prestations d’action sociale bénéficient d’un régime social avantageux puisqu’elles ne sont pas soumises à cotisations de sécurité sociale ni même à la CSG et à la CRDS ou à la taxe de prévoyance.
- Une liste non exhaustive
Il faut préciser que ces prestations de solidarité ne constituent pas nécessairement « des compléments de prestations versées par le régime de base de la sécurité sociale » au sens strict du terme, puisque le régime de base ne prévoit pas forcément de prestations similaires. Il faut donc adopter une vision large de la notion de « prestation complémentaire », englobant toutes prestations visant à protéger un individu d’un risque pour lequel le régime de base n’est pas, ou que partiellement, intervenu.
En pratique, les actions de prévention et d’action sociales sont déterminées par la commission paritaire de branche, instance de négociation entre les partenaires sociaux d’une branche professionnelle, qui en contrôle également la mise en œuvre.
Généralement, les partenaires sociaux ont l’habitude de se cantonner à la lettre de R. 912-2 en renvoyant l’attribution de prestations de solidarité à une analyse casuistique de la situation personnelle du salarié.
Néanmoins certaine branche tiennent aussi compte des problèmes spécifiques de leur secteur : sevrage alcoolique dans la branche des « vins, cidres et jus de fruits », aide aux veuves d’agriculteurs dans la branche « Agriculture », etc.
Le décret apporte donc les précisions attendues sur les prestations qui peuvent faire l’objet d’une gestion et d’un financement mutualisés, mais l’organisation du dispositif autour d’un fonds unique de solidarité reste complexe.
II – Le financement et le fonctionnement du fonds unique de solidarité
Jusqu’alors, les accords de branches pouvaient soit laisser le libre choix aux employeurs de l’organisme assureur auquel verser la cotisation destinée au financement de la solidarité de branche (2% minimum des cotisations du régime complémentaire mis en place), soit imposer un fonds de solidarité unique, celui l’organisme assureur recommandé pour la gestion du régime complémentaire.
Dans ce deuxième cas, les entreprises ayant opté pour un autre organisme assureur que l’organisme recommandé par la branche devaient demander qu’un transfert de fonds soit effectué pour cette fraction de cotisations.
Ce sont ces transferts de fonds qui posaient des problèmes techniques aux organismes assureurs. Certains préféraient utiliser leur propre fonds et garantir aux employeurs adhérents les prestations de solidarité prévues par leur branche.
Le décret a donc tenté de clarifier la situation en précisant les modalités de fonctionnement et de financement du fonds unique de solidarité.
- Les modalités de fonctionnement du fonds
Le décret prévoit désormais que le fonds unique de solidarité est « créé » par les accords de branche ou les accords interprofessionnels qui doivent également définir « les conditions de choix du gestionnaire chargé de son pilotage par la commission paritaire de branche ».
Puisqu’aucun mécanisme de mise en concurrence n’est imposé, les familles d’assureurs (mutuelles, sociétés d’assurance, institution de prévoyance) craignent qu’en pratique la gestion du fonds continue d’être automatiquement attribuée à l’organisme recommandé par la branche pour la gestion du régime complémentaire.
Les commentateurs envisagent quant à eux la multiplication de gestionnaires « ad hoc » créés par les partenaires sociaux des branches professionnelles eux-mêmes, tel que l’avaient déjà tenté les branches du recyclage et des vins et spiritueux avant l’adoption du décret en mettant en place des associations de gestion sociale.
- Les ressources du fonds
L’article R.912-3 issu du décret établi clairement le mode de financement des prestations de prévention et d’action sociale lorsque ces dernières sont mutualisées. Il reprend des pratiques déjà établies par les conventions de branche.
Ainsi, les ressources du fonds unique de solidarité sont tirées :
- soit d’un montant forfaitaire par salarié (par exemple la branche automobile prévoit une cotisation de 2€ par salarié répartie entre salarié et employeur),
- soit d’un pourcentage de la prime ou de la cotisation de 2% acquittée par l’employeur pour toutes les prestations de solidarité,
- soit une combinaison de ces deux éléments.
Désormais, les accords de branche devront donc obligatoirement prévoir un fonds de solidarité commun à toutes les entreprises de leur champ d’application abondé directement par les employeurs, mettant ainsi fin aux transferts de fonds entre assureurs.
Manon Blanleuil
Master 2 DPSE, Promotion 2016/2017, Université Paris I – Panthéon Sorbonne,
Apprentie juriste à la MGP.
Astrid Bourdieu
Master 2 DPSE, Promotion 2016/2017, Université Paris I – Panthéon Sorbonne,
Apprentie juriste à la SNCF