Emmanuel Samba, âgé d’environ 70 ans, déplacé interne de la crise anglophone, est décédé lundi 31 octobre suite à une agression perpétrée dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 octobre derniers à Bangangté.
Il vivait avec sa femme et ses cinq enfants dans une zone excentrée et dans une maison abandonnée du quartier Batela. Il a été conduit à sa dernière demeure le week-end passé à Ndu dans la région du Nord-Ouest. Après la levée de corps le jeudi 03 novembre dernier à la morgue de l’hôpital de district de Bangangté, il a eu droit à quelques hommages de la communauté des déplacés internes logée à Bangangté et ceux de quelques-uns de ses collègues vigiles en service à l’Université des Montagnes. De retour à Bangangté, le jeudi 10 novembre dernier, sa veuve, Yvonne Samba, est toujours inconsolable. « Je me sens en insécurité. Où vais-je aller avec les enfants. J’ai fui la guerre chez moi à Ndu près de Nkambé pour venir me caser ici à Bangangté, à plus de 500 kilomètres de route, me caser et savourer un air de paix. Mais depuis le petit matin du dimanche 30 octobre dernier, mon rêve est devenu cauchemar. J’implore la protection et le soutien du gouvernement. Le pilier de la famille est parti…Nous revenons du village pour son inhumation », déclare-t-elle.
Des inconnus ont fait irruption dans la maison abandonnée
Au-delà des hommages à Emmanuel Samba, les circonstances de son décès révoltent une bonne partie de l’opinion locale. Certains membres de la famille Mbagnia s’indignent et trouvent que les malfrats ont poussé le bouchon trop loin. « Il était calme, serviable et travailleur. Chaque fois qu’il y avait une situation délicate au village, il m’appelait pour me rendre compte. Il était affaibli suite à une chute d’un arbre. Ils ont profité de cet handicap pour l’agresser et provoquer sa mort », dénonce Blaise Juoumpa, ayant-droit d’une concession voisine à celle où est survenu ce drame.
En effet, des témoins font savoir qu’au petit matin du dimanche 30 octobre 2022, des inconnus ont fait irruption dans la maison abandonnée qu’occupent, depuis 2018, Emmanuel Samba et sa famille au quartier Batela à Bangangté. D’un coup de pied, ils ont fracassé la porte en bois, bien usée, charançonnée et érodée par les affres des intempéries. Ils se sont dirigés vers le maître des lieux, l’ont assommé à coups de machettes. Ils ont ordonné à tous les occupants de se coucher, et dépouillé la conjointe du vigile de toutes ses économies financières. Ils ont encore emporté les fournitures des quatre enfants scolarisés du couple. Selon le frère cadet du décédé venu de Tiko pour assister à la levée mortuaire de son proche à Bangangté, ces malfrats ont délesté les autres occupants de leur téléphone portable, avant de prendre la poudre d’escampette.
Lire aussiCameroun - Alim Hayatou : Le Lamido veinard et très docile tire sa révérenceCette famille dépouillée, démolie physiquement et psychologiquement, n’a reçu aucune assistance. Emmanuel Samba, grièvement blessé à coups de machettes, n’a été conduit ni aux Cliniques universitaires des Montagnes (Cum) à Banekane où il officiait en qualité de vigile pour le compte d’une société de gardiennage dénommée « Essoka Security », ni à l’hôpital de district de Bangangté, située à moins de deux kilomètres du lieu du drame. « Dans les formations sanitaires publiques, nous sommes très sensibles à la prise en charge des personnes déplacées internes. Il fallait juste qu’il soit transporté à l’hôpital. Le personnel sanitaire se serait battu pour le soigner, avec les moyens disponibles », souligne une infirmière, responsable d’un centre de santé dans la région de l’Ouest.
Informée le dimanche 30 octobre 2022, la brigade de gendarmerie de Bangangté ne s’est pas manifestée pour l’ouverture d’une enquête. Ce n’est que le lendemain, suite au décès d’Emmanuel Samba, que ses éléments se sont rendus sur le lieu du sinistre à Batela pour ouverture des enquêtes. Et ça traîne, alors que la trajectoire des malfrats pourrait être tracée à partir des téléphones portables arrachés aux victimes? « Nous ne disposons pas assez d’éléments pour quadriller tous les coins et assurer la sécurité des personnes et des biens », souffle un commissaire de police approché au niveau de la ville de Bafoussam.
Déplacées internes confrontées à des risques accrus
A en croire le sous-préfet de l’arrondissement de Bangangté, Evariste Atangana, administrateur civil, cette affaire serait sur la table du Procureur de la République près des tribunaux de Bangangté. « Il revient au Procureur de la République d’élucider les véritables circonstances de ce crime. Il lui revient d’enquêter pour savoir l’identité réelle de la victime et son statut social », indique-t-il. Avant d’expliquer : « Je suis investi pour une mission de maintien de l’ordre public. Je m’engage au quotidien pour assurer la sécurité des biens et des personnes dans l’unité administrative placée sous ma direction. Je fais mon travail sans aucune discrimination. Des équipes de veille sont organisées pour recenser les déplacés internes ici à Bangangté. Les chefs de village et de quartier font ce travail et mettent habituellement leurs fichiers de déplacés à jour. Ils me communiquent régulièrement des rapports afin que nous planifiions, avec le concours et l’assistance des organisations de la société civile, leur prise en charge au plan humanitaire. Ils y sont nombreux. » Cette autorité administrative ajoute que l’arrondissement de Bangangté est une localité hospitalière. « Les populations déplacées et les autochtones cohabitent harmonieusement. L’intégration nationale fait partie de nos valeurs. Certains anglophones sont établis ici depuis plus de 30 ans, et ils ne sont pas exclus. Certains ont été cooptés notables dans une chefferie comme celle de Métcha dans le groupement Bangangté. Dans le village Bantoum, le chef veille à cette cohabitation harmonieuse entre les natifs du coin et les communautés récemment installées », déclare Evariste Atangana. Cet administrateur civil tient un discours arrimé aux exigences de la Convention de Kampala, le premier et le seul instrument régional juridiquement contraignant au monde pour la protection et l’assistance aux personnes déplacées internes, qui sont souvent confrontées à des risques accrus, des violations et des violences sexuelles en raison de leur déplacement. L’article 3 de la Convention de Kampala reconnaît l’obligation générale des États de s’abstenir de pratiquer, d’interdire et de prévenir le déplacement arbitraire des populations, ainsi que leur obligation de prévenir certaines des causes du déplacement interne, comme l’exclusion et la marginalisation politique, sociale et culturelle, de respecter et de protéger les droits de l’homme des personnes déplacées et de respecter le droit international humanitaire.
Lire aussiX-Maleya : La séparation du groupe est officielleUne réparation à toutes les victimes de violations du droit à la vie
Cependant, ce cas d’agression perpétrée contre la famille Samba à Batela est loin d’être isolé et commande des questionnements sur le niveau et l’efficience de l’engagement de l’Etat du Cameroun pour la sécurité des personnes déplacées internes. Certains analystes de l’actualité locale ou membre de l’opposition, à l’instar de Me André Marie Tassa, avocat au barreau du Cameroun et secrétaire de la Fédération régionale du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun(Mrc), estiment qu’au-delà des « belles déclarations et des slogans pompeux » ou « des actions humanitaires sporadiques avec des visées de marketing politique », les autorités gouvernementales camerounaises brillent par une indifférence en matière d’assistance et de protection des déplacés internes des crises armées. Dans de nombreuses localités du département du Ndé, à l’instar de Badoumga, de Baloa et de Babitchoua dans l’arrondissement de Tonga, les personnes déplacées occupent des maisons loin des centres urbains et sont exposées aux attaques des bandits. Le même phénomène sévit dans les faubourgs de la ville de Bafoussam ou celle de Foumbot. Les productions agricoles des déplacés internés sont ciblées par des malfrats. La vétusté et l’isolement des maisons que ces personnes occupent-dans la plupart des cas jouent en leur défaveur. Bangourain dans le département du Noun accueille une forte communauté de déplacées internes de la crise anglophone. Ces hommes et femmes qui ont fui les hostilités armées entre les forces gouvernementales camerounaises et les groupes séparatistes y vivent dans la terreur, à cause des stigmatisations et des agressions dont elles sont victimes, parfois avec la complicité des autorités traditionnelles et municipales qui, sous le couvert des mécanismes d’autodéfense, assimilent les déplacées aux indics des groupes séparatistes armés et leur font la vie dur. Militant d’une organisation de défense des droits humains et ingénieur agronome intervenant à Bangangté, Magba et Bankim, Théophile Nono pense que L’Etat du Cameroun ne prend aucune disposition spéciale pour assurer la sécurité des déplacés internes et celle de leurs biens. Le Centre pour la promotion du droit, le Ceprod, observe ,suite à l’agression mortelle de Emmanuel Samba à Bangangté, que l’article 06 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques qui sacralise le droit à la vie pour tous a été violé. Cet article 6 reconnaît et protège le droit de toutes les personnes humaines à la vie. Suivant l’Observation générale n°36 de l’Organisation des Nations Unies(Onu) sur le droit à la vie, « il s’agit du droit suprême. » Il constitue également, selon cette organisation intergouvernementale, un droit fondamental dont la protection effective est la condition indispensable de la jouissance de tous les autres droits de l’homme et dont le contenu peut être éclairé et imprégné par d’autres droits de l’homme. Le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte dispose que « nul ne peut être arbitrairement privé de la vie et que le droit à la vie doit être protégé par la loi. Il pose le fondement de l’obligation qu’ont les États parties de respecter et de garantir le droit à la vie, de lui donner effet par des mesures d’ordre législatif ou autre, et d’offrir un recours utile et une réparation à toutes les victimes de violations du droit à la vie. »
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