À mesure que le joint se consume. (David Lopez)

Par Jmlire

" Avant d'être hébergé, temporairement chez Noël, notre cycliste a dormi sur la route, reçu les conseils de Maurice, un sexagénaire aguerri qui se tape 230 kilomètres par jour sur son vélo, faisant " des micro-siestes quand il est fatigué, la nuit il dort au bord de la route, n'importe où". Il rencontre aussi François et Francine, elle est atteinte d'Alzheimer, lui tombe parfois dans le jardin et appelle sa femme au secours. C'est comme ça qu'il les rencontre, cet appel qui le happe et auquel il va répondre, se retrouvant invité à partager le repas avec les deux vieux. mais avant de partir, Francine vendra bien malgré elle la mèche : souvent elle guette par la fenêtre le passage d'un cycliste, prévient son mari qui s'allonge dans le jardin et appelle au secours. Elle dit " qu'elle était contente car c'était rare que les gens restent pour le repas". Elle dit aussi qu'elle a peur " de se retrouver un jour allongée, elle aussi, incapable de venir en aide ( à François), et ils seraient là tous les deux à appeler sans relâche, appeler à s'en déchirer la poitrine, sans que personne, jamais, les entende."..."

" En voyage à vélo, le soir, je dors dans une tente. Camping sauvage dans la forêt, en bord de rivière, n'importe où pourvu que je ne sois pas visible depuis la route. J'y apprécie le silence, surtout. Et la solitude, bien sûr. Je tiens un carnet de bord dans lequel je consigne tout de ma journée de voyage. Dans l'ordre, plus ou moins, aidé de la carte qui me permet de retracer mon parcours du jour. Au départ, ça prend la forme d'une liste, et puis à mesure que le joint se consume je commence à faire des phrases, avoir des pensées qui sortent du seul cadre du voyage, mon vagabondage cycliste devient mental. J'en ressors avec beaucoup de matière...

Dans mes carnets de bord j'avais trop tendance à écrire des trucs du genre " le mec du bar, le type à la poste", et c'est sûr que le soir même dans sa tente on voit très bien qui c'est le gars, sauf que quatre ans plus tard quand on le relit ça nous parle plus du tout. Décrire c'est d'abord observer, être attentif. Moi par exemple je ne sais pas décrire un visage, donc je m'emmerde plus avec ça et je passe par autre chose, des gestes, des parures, une façon de parler... Je n'ai pas une super mémoire moi, j'oublie beaucoup. La mienne elle s'attarde surtout sur les émotions, ce que j'ai ressenti en vivant la scène. Et puis je ne suis pas discipliné, comme auteur. Plutôt pulsionnel. Comme des bouffées... Tracer son itinéraire c'est bien, mais le petit sentier qui part vers la pampa là, on ne sait pas où il va déboucher, mais il donne vraiment envie d'aller voir..."

Magazine LMDA Septembre 2022 : extraits d'une critique de Thierry Guichard sur le roman " Vivance" de David Lopez, et d'un entretien avec cet auteur.