Dans un cas, les spécialistes envisagent d'étendre leur périmètre de compétences sur des territoires adjacents, pour diverses raisons, dont le désir de renforcer le lien avec le client ou de capitaliser sur sa confiance pour capter de nouveaux marchés. Dans l'autre, l'entreprise (et General Motors a déjà montré l'exemple par le passé) cherche à s'emparer des briques qui lui manquent pour compléter sa chaîne de valeur, l'assurance représentant une composante essentielle dans l'univers de l'automobile.
En réalité, l'enjeu est le même pour tous. Leur préoccupation principale est de répondre à une évolution naturelle des attentes des consommateurs, catalysée par les progrès technologiques, vers une intégration de parcours de bout en bout. Il n'est plus question aujourd'hui (ou, a minima, de moins en moins) de distribuer un produit mais d'offrir une expérience. Avec une pointe d'exagération, Renault se définit ainsi désormais comme un vendeur de kilomètres et non plus comme un simple marchand de véhicules.
Selon cette logique, un fournisseur unique prend alors en charge la totalité des fonctions nécessaires (acquisition, financement, assurance, entretien…), de manière à procurer aux utilisateurs un service tout compris, facile à appréhender, sans ruptures, sur la totalité du cycle de vie de la voiture. Quand un constructeur se donne les moyens de concevoir un modèle optimal de ce genre (Tesla fut pionnier de l'approche), la proposition paraît relativement naturelle et devient facilement convaincante auprès des clients.
En revanche, si un assureur tente de prendre la même orientation, il risque fort de susciter le scepticisme car sa contribution dans l'écosystème, bien qu'incontournable, n'est pas perçue comme suffisamment centrale (ou primordiale) pour lui associer la légitimité d'un intermédiaire à qui le quidam moyen va s'adresser lors de son achat. En ce sens, le principe du « Beyond Insurance » (et des limites similaires existent pour la banque) exige donc une réflexion profonde sur ce qui justifiera l'adhésion sans réserve des clients.
Loin d'être anecdotique, le sujet mérite d'être pris très au sérieux, car la tendance est inéluctable et, dans tous les métiers, des équivalents de Renault sont prêts à absorber l'assurance dans leurs propres processus. À défaut, l'impact sera considérable pour les acteurs qui souhaitent absolument rester en première ligne de la relation. Il sera moindre pour ceux qui ont pris le virage de la distribution indirecte sous forme de service… encore faut-il que leurs solutions soient précisément adaptées aux besoins du marché et ne laissent pas la porte ouverte à des alternatives créées de toutes pièces.
Voilà en effet un autre piège à considérer que souligne l'annonce de la marque au losange. En disposant d'un accès privilégié aux gigantesques masses de données générées sur ses lignes de production comme sur les routes, elle estime maintenant qu'elle est mieux placée que les assureurs traditionnels pour élaborer – avec l'aide de Google en matière d'intelligence artificielle, faut-il noter au passage – une couverture pour sa gamme de véhicules (où, la aussi, les frontières s'effacent, entre gestion de sinistre, indemnisation, réparation…) et peut (éventuellement ?) se passer de leur expertise.
Les techniques de commercialisation ne vont pas changer du jour au lendemain, mais les spécificités de l'assurance – sa nature de complément à un élément à protéger, son utilité concrète limitée à des événements impromptus, sa méconnaissance généralisée… – la rendent extraordinairement propice à une transition vers son immersion (transparente) au cœur des moments de vie où elle a du sens, devenue possible par la grâce de la « digitalisation » universelle. L'industrie doit se préparer à cette mutation.