Claude Minière publie L’année 2.0 aux éditions Tindbad.
Durant l’année 2.0, j’ai étudié l’histoire de la Mésopotamie, j’ai médité le combat du « zéro » et j’ai passé des heures dans le jardin public où les enfants s’étonnent des statues.
Puis je suis revenu à la civilisation. J’ai pensé à Orphée.
Mésopotamie
Les morts changent d’avenir
voici la Mésopotamie
à l’entre-deux
entre deux fleuves
deux positions du corps.
Quand nous fouillons les pensées
et nos souvenirs
*
Des plus anciens nous avons étudié les rites
funéraires
ce qu’il en reste et qui n’est pas en paix
retour du refoulé, des clous
mezza voce
le nom aussi s’est effacé
sauf aux musées
/
Debout couché marchant
trouver l’eau potable
en dépit des empoisonneurs de la pensée
*
Trouver une place pour dormir
avec l’espoir, avec les rêves.
... pleine de grâces
/
Le fleuve me passe par la tête et les romans
l’exotisme dix-neuvième siècle des momies
et des danseuses, un moment d’abandon.
Mais ce n’est pas ce que je cherche.
*
Je cherche les rapports aux morts
les changements qui viendront
qui sont déjà intervenus vêtus ou nus
entre deux rives
entre deux siècles
/
C’est pourquoi
s’enfoncer dans l’écrit ? dans le désert ?
non : barque légère
rame et arrogance bienvenue
*
C’est tellement dispersé
le mort et le vivant
que je comprends la demande de
rassemblement
*
Un est ressuscité
Nouveau calendrier
mais on cherche toujours dans les cultures
riz, maïs, henné
/
Qui s’en occupent ? qui les assistent
derrière des visières d’infirmières
aux mains gantées de peau ?
*
Un mur d’écriture (des clous)
pointe et roseaux
une main
Mets ta main là
une caresse entre les draps
entre les nappes du déjeuner
sous le soleil
dans la fraicheur retrouvée
sous la couverture d’une longue nuit glaciale
les fleuves coulent
ils sont bleu sombre maintenant
les bêtes vont boire
plongées jusqu’à mi-corps dans le jaune et le vert
(...)
Claude Minière, L’année 2.0, Tinbad, 2022, 96 p., 15€, parution le 24 novembre 2022.
Prière d’insérer :
Nous comptons en années, bien sûr, avec leurs événements, collectifs ou personnels. Mais toujours en même temps vit un autre temps, une autre dimension, histoire, mythe, fable. Par le poème (l'écriture libre), Claude Minière s'attache à saisir les points de croisement. « Le poème touche au réel de manière inattendue. » Des pleins et des déliés, des plans et des trous, l'intime et la généralité, ainsi se présente le poème. Rien d'un discours. Lignes et trous, chant et déchiffrage : la poésie a ceci de particulier qu'elle évite tout discours pour être franchise première. Qui laisse venir le proche et le lointain, l'intime et le général, l’avant, le pendant, l'après, le désert, les jardins, Orphée et les bêtes sauvages... Vous êtes dans le désert, dans un jardin public, ou sur le chemin d'Orphée. Les vivants s'occupent des morts, et les morts des vivants, est-ce que ça va durer ?