La superstition, compagnon insolite des navigateurs
Fétiches, grigris, méthode Coué ou phrases incantatoires, tous les moyens sont bons pour provoquer la chance.
Presque tous les marins sont superstitieux et, même s'ils s'en défendent, aucun d'eux n'oserait défier les grands interdits de la marine à voile. C'est ainsi que Laurent Pellecuer (Dr Valnet Aromathérapie) a passé 15 minutes à gratter frénétiquement au couteau le couvercle de sa boîte de chocolat en poudre, où un malencontreux animal aux grandes oreilles était incrusté. Mais passons sur ce cliché éculé pour regarder plus avant.
Sportifs bien préparés, stratèges, maîtres d'une machine complexe, êtres logiques et raisonnables, nos navigateurs croient toujours au petit coup de baguette magique, celui qui permet de magnifier un joli choix tactique en coup de maître. Nicolas Troussel (Financo), en tête du classement général après deux étapes, et lauréat de l'épreuve en 2006, navigue actuellement avec ses drisses victorieuses vieilles de deux ans ! Corentin Douguet (E.Leclerc Mobile) n'a pas hésité, malgré le sacrilège, à rebaptiser son bateau cet hiver, du nom du 6,50 avec lequel il avait remporté la Mini Transat. «Pour l'instant, on ne peut pas dire que ça me porte chance», souligne l'intéressé, un peu dépité par son début de Figaro. Gildas Morvan (Cercle Vert) avoue avoir longtemps navigué vêtu de chaussettes rouges, les légendaires red socks porte-bonheur de sir Peter Blake et son Team New Zealand.
Guérir du doute
Quant à l'ancienne figariste Samantha Davies, elle n'embarque jamais sans son «slip porte-bonheur» (sic) avec lequel elle disputera son prochain Vendée Globe. Certains coureurs tentent toutefois de résister à ces croyances irrationnelles bouffeuses d'énergie, à l'image d'Erwan Tabarly (Athema) «quelquefois, malgré moi, je me dis : “Tiens, sur telle régate que j'ai gagnée, j'avais tel tee-shirt, je vais le remettre.” Mais j'essaie de ne pas rentrer dans ce jeu-là, ça nuit à la performance». Car la fameuse «réussite», sans cesse évoquée par les skippers comme ingrédient indispensable à leur succès, n'a finalement pas grand-chose à voir avec l'abc de l'abracadabra.
Plus efficaces sont ces petites phrases simples, griffonnées dans le cahier de route ou sur une cloison de la table à cartes, qui viennent rappeler aux marins quelques fondamentaux, les rassurer ou les guérir du doute. «Tu sais le faire», se répète Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs). «Quand tu es en tête, va à la bannette», se rappelle Gildas Morvan. Ou encore : «Fais-toi plaisir et va où tu le sens», invite Jeanne Grégoire (Banque populaire)… Et qui sait si ces maximes pleines de bon sens, ces pense-bêtes pas si idiots n'ont pas eux aussi quelque vertu incantatoire ?
Camille El Beze