J'ai eu le plaisir d'interviewer , directeur d'expérience et relation client, afin de recueillir ses conseils pour développer la culture client et l'engagement collaborateur.
Jean Michel a débuté sa carrière dans le secteur des transports (groupe SNCF et Aéroports de Paris), puis il a intégré le groupe La Poste et la RATP notamment pour le développement à l'étranger et en région.
Actuellement, il a rejoint la direction des opérations de l'opérateur internet et téléphonique Free sur la gestion de la relation abonnés.
Voici ci-dessous la synthèse de notre échange et, tout à la fin, vous pourrez retrouver l'intégralité de l'interview (38 minutes)
Comment a évolué la relation client et comment peut-elle contribuer à la valeur ajoutée apportée par l'entreprise ?
La réponse est en quelque sorte dans la question : la relation client a beaucoup évolué ces dernières années, surtout au niveau de la technologie, des outils et de tout ce que la transformation digitale peut mettre au service du métier.
On peut le voir au travers de l'étude Elu Service Client de l'Année : les canaux ne sont pas remplacés, mais se sont cumulés.
Le téléphone n'a pas ainsi été remplacé ou réduit par l'email ou le chat, sa part d'usage reste stable autour de 60% :Cependant, il reste énormément de possibilités à exploiter, le métier s'est transformé par les outils aussi bien que par les manières de travailler.
Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que désormais, on reconnaît la contribution de la relation client à la valeur ajoutée perçue par les clients.
Pour preuve, l'étude Elu Service Client de l'Année, qui montre que la relation client impacte l'image de l'entreprise, qu'un service client de mauvaise qualité fait changer de fournisseur...
Le centre de contacts n'est plus identifié comme un centre de coût, un service d'appui... mais bien comme un des moyens de créer une expérience positive, de fidéliser les clients et de se démarquer.
Ce qui n'a pas changé, c'est que le service client est un métier très humain, car l'homme et la femme sont essentiels lors d'échanges parfois compliqués et sensibles pour répondre aux attentes des clients et mettre en valeur la marque.
La modernité du service client, c'est donner plus de valeur à l'humain, pas de le remplacer totalement par des machines.
Plusieurs innovations et réflexions ont été mises en oeuvre pour faciliter l'utilisation des outils utilisés dans la relation client.
L'humain est donc l'élément majeur à ne pas négliger, car il permet de créer de la valeur, de l'émotion... bien au-delà des outils qui facilitent la relation ou traitent des demandes très simples pour lesquelles le conseiller n'apporte pas de valeur ajoutée.
Le centre de contact est bien souvent la dernière ligne de défense avant qu'un client ne quitte l'entreprise ; il permet de rassurer, proposer des solutions... il ne faut donc surtout pas lésiner sur le service délivré, a fortiori dans un modèle basé sur l'abonnement (et donc la fidélité).
Si le service client est décevant, n'est pas au rendez-vous... cela conforte le client dans une démarche de quitter la marque.Chez Free, il y a vraiment une politique d'innovation et d'amélioration continue en matière de la relation abonné, par exemple avec la création de hubs de proximité, locaux, regroupant une dizaine de conseillers et des techniciens proches physiquement des clients.
Dans le secteur des télécommunications, la qualité de la relation client est un facteur essentiel de différenciation de la concurrence.
Il y a certes des différences d'offre, mais il y a aussi bien sûr la qualité de la délivrance du service au quotidien.
D'ailleurs la crise du COVID l'a démontré, on ne peut plus se passer de sa connexion internet pour faire des démarches, pour télétravailler... ou simplement pour se distraire.
Les abonnés attendent donc en cas de besoin une réponse simple, rapide et efficace à tout moment
C'est pourquoi dans le secteur des télécoms, le Service Client est une fonction clé.
Par exemple, dans un groupe comme Free, la relation client au sens large représente près de 25% des effectifs du groupe.Il est donc primordial d'être attentif au volet humain de l'innovation dans l'interaction avec les abonnés, qui recouvre l'adaptation de postures, l'analyse du besoin de l'abonné et bien entendu la dimension émotionnelle de l'échange.
Chez Free nous veillons particulièrement à l'accompagnement des collaborateurs dans les centres de contact.Le but est qu'ils montent en compétence et qu'ils se sentent bien dans leur métier.
Car si l'on veut fidéliser ses clients, il est nécessaire de fidéliser les collaborateurs.
C'est du gagnant-gagnant-gagnant :
- gagnant pour l'abonné qui reçoit un meilleur service,
- gagnant pour le conseiller qui est plus à l'aise dans son travail
- gagnant pour l'entreprise qui a des clients plus satisfaits et moins de coûts liés au turn over.
Comment développer l'engagement et la culture client chez ses collaborateurs ?
Les métiers de la relation client ne sont pas assez valorisés par le grand public, alors qu'il y a toujours des postes vacants.Il faut mener un vrai travail pour fidéliser les collaborateurs, et les rendre fiers de leur travail.
Il existe des leviers qui font partie de la culture d'entreprise en elle-même et qui sont mis en avant et valorisés comme :
- L'évolution interne des collaborateurs (de conseiller à superviseur, etc...)
- Les formations initiales (car il n'y a pas de diplôme spécifique ou exclusif pour ce métier), par exemple via des contrats de professionnalisation.
- La célébration des résultats : si l'on fixe des objectifs, il faut remercier quand ils sont atteints et le dire haut et fort. Cela peut se faire via la reconnaissance des efforts individuels et la reconnaissance des performances des équipes.
- Et bien entendu la formation continue et le maintien en compétence !
Cela peut sembler être un basique du management, mais quoi que l'on puisse faire via des outils d'intelligence artificielle, des CRM ou des logiciels spécialisés pour les centres de contacts... c'est l'intelligence collective et humaine qui va faire en sorte que les collaborateurs soient plus engagés et plus orientés clients.
Pour preuve, je constate qu'en travaillant sur ces leviers, on voit immédiatement que les collaborateurs sont plus satisfaits.
Nous le mesurons via une enquête d'engagement collaborateurs mensuelle (qui inclut un "eNPS", le NPS adapté à la mesure de la Voix du Collaborateur). En revanche, lorsque l'on demande aux collaborateurs leur avis, il est nécessaire de passer à l'action et de prendre en compte les remontées, sinon cela peut vite devenir contre-productif.Les résultats doivent être partagés avec transparence. Des réponses apportées pour les commentaires qui le nécessitent.
Les verbatim doivent être tous lus et analysés au niveau managérial dans l'objectif de mettre en place des plans d'action dans les meilleurs délais.On ne peut bien entendu pas toujours tout mettre en pratique mais il faut assumer et communiquer une priorisation des actions.
Chez Free, il y a aussi des forums d'écoute qui permettent de mettre en place de l'amélioration continue.
Il faut se rappeler que les remontées collaborateur sont souvent la traduction de la voix du client (des problèmes de process, d'outils, de clarté d'offre...).
La satisfaction et l'engagement des équipes va naturellement se traduire par plus d'engagement et d'empathie vis-à-vis du client.Il s'agit des leviers qui permettent de faire la différence face à ses concurrents, sans pour autant négliger, bien évidemment, la qualité de l'environnement et les outils des collaborateurs.
Car un bon technicien doit avoir de bons outils et les bonnes conditions pour bien faire son travail.Par exemple, grâce aux remontées des collaborateurs, nous avons détecté des optimisations au niveau de la gestion du planning, la gestion des pauses... pour avoir des semaines plus homogènes pour les collaborateurs.
C'était un travail important au niveau des paramétrages de planification, mais c'était gagnant pour les agents (moins de stress dans le quotidien, des choix plus flexibles...) et l'entreprise (moins d'absences, des collaborateurs plus motivés...).
Remarque de Frédéric : dans une petite compagnie aérienne, un superviseur avait ainsi fortement amélioré l'engagement des collaborateurs en prenant en compte en avance les contraintes de planning, en anticipant les disponibilités... pour simplifier la vie des salariés. C'était pour lui plus de travail, mais cette action avait énormément d'impact sur le moral, la motivation... Cela prouvait aux collaborateurs qu'ils étaient importants aux yeux de leurs managers.Qu'est-ce qu'il faut mettre en place pour développer une véritable orientation client ?
L'ensemble des dispositifs de formation, techniques ou métier, visent à mieux servir le client et contribuent donc in fine à développer la Culture Client.Ces formations permettent de transmettre du savoir et de la connaissance, mais la clé est de transformer cela en habitude au quotidien, et c'est là le véritable challenge... faire en sorte de créer un réflexe ou une habitude naturelle.
Comme pour les actions à mener après les enquêtes auprès des clients et collaborateurs, il faut surtout veiller à prioriser les formations à mettre en place.
Il faut favoriser les formations ciblées selon les besoins de chaque collaborateur dans le but de faire des accompagnements ciblés et de faire progresser chacun sur ses axes de progrès.
Ces accompagnements ciblés, dans lesquels les managers de proximités jouent naturellement un grand rôle, ont le meilleur ROI, car faire du sur-mesure permet de mettre les moyens là où il le faut et comme il le faut, et ne pas imposer des formations à des collaborateurs qui ont déjà les compétences.
C'est bien sûr plus complexe dans la mise en œuvre, mais cela permet d'être bien plus efficace et pertinent.
Note de Frédéric : Lors de la soirée de lancement du livre "Culture Client" de Daniel Ray et Guillaume Antonietti (voir ce dossier), il y a eu un exemple de ce type : Malakoff Humanis a lancé un programme de formation, non pas sur x jours de manière classique, mais avec un module initial, puis durant plusieurs semaines tous les matins avec un échange entre collègues (les 5 minutes du client) afin de transformer les acquis en réflexe.Un collaborateur content fera forcément un client content ?
Lorsque l'on fait de la double écoute, on comprend vite que la manière dont un client va être accueilli peut tout changer dans l'échange conseiller / abonné. Le facteur clé est que le collaborateur puisse comprendre l'environnement du client, et se préoccuper de sa situation, avoir de l'empathie.Il ne s'agit pas uniquement d'avoir un script prédéfini parfait avec des diagnostics, des process... mais de travailler aussi beaucoup la forme.
Entre un "Bonjour" et un "Bonjour !", il y a énormément de différence.
Pour que le client puisse sentir qu'il est pris en charge, il faut faire attention à lui, c'est la philosophie du "Care" (prendre soin) cher à mon ami Benoît Meyronin, professeur à l'EM Grenoble et grand spécialiste du sujet (voir son livre sur le "Care" dans cette sélection de livres sur l'optimisation de l'expérience client ).
Il faut pour cela que collaborateur soit en forme, content de venir au travail, et qu'il ait envie de venir en aide au client, avec une certaine appétence pour cette relation spécifique. D'où l'importance de travailler sur le sens du travail qui est effectué, du service que l'on rend aux abonnés...Cela peut sembler un peu théorique, mais c'est très concret et c'est finalement la base de toute relation humaine de qualité !
Ce sens, on l'apporte par de la communication, la valorisation du métier, le partage des verbatim client...
Par exemple, lorsqu'une offre évolue, il faut expliquer pourquoi, quels sont les bénéfices client, les avantages... et pas que sur le p technique.
Lorsqu'on se préoccupe de nos collaborateurs, ils vont automatiquement se préoccuper de nos clients.
Certains sont naturellement orientés client, et ils vont à tout prix aider les clients, avec énormément d'empathie, d'attention...Sachant que l'orientation client naturelle est différente selon la psychologie et le vécu de chacun.
Et d'autres vont plus être dans la technique, dans les procédures... chacun nécessitant des accompagnements différents.
Un des éléments clés se situe donc au niveau du recrutement.Ainsi le conseiller très orienté client pourrait avoir tendance à passer trop de temps avec un client, il faut donc lui rappeler que le temps qu'il passe avec un client peut entrainer une charge d'appels plus forte et donc de l'attente et de la réitération, et à l'inverse un conseiller très rigoureux et technique soit être plus ouvert aux émotions des appelants.
Il faut aussi travailler sur l'accompagnement, via un double référentiel.On va identifier les profils qui correspondent le mieux dans le métier de la relation client via une analyse des soft skills (compétences personnelles et relationnelles).
Tout d'abord, un référentiel des moments de vérité du parcours client. Cela permet aux collaborateurs de tenir compte des besoins spécifiques et de l'émotion particulière des clients lors des appels.
Ce parcours client doit être sans cesse remis en cause, analysé... car les besoins évoluent, la concurrence évolue, la cible bouge !La co-construction permet également aux collaborateurs de faire un feedback par rapport au vécu sur le terrain, et de faire évoluer la modélisation du parcours client et les process dans une logique d'amélioration continue.
Le secret de l'équation c'est de passer peu ou prou autant de temps sur les parcours collaborateurs que sur les parcours client car ces deux dimensions vont tôt ou tard se recouper.Le second point, c'est l'analyse des moments de vie du collaborateur, c'est un peu moins habituel et cela permet de faire une symétrie par rapport au parcours client.
Le fait de se soutenir, de faire partie d'une équipe, d'avoir une bonne ambiance de travail... constituent des points forts qui remontent beaucoup dans les enquêtes collaborateurs.Il est bien sûr important de se préoccuper également de l'équipe de manière collective en termes d'objectifs et d'animation.
Ces référentiels sont des outils qui permettent à la fois de mettre en place des méthodes, de la formalisation, de donner du sens et d'aligner tout le monde sur une culture client commune.
C'est autre chose que de mettre les 3 ou 4 mots clés dans une charte "Culture Client" isolée.Cela va faire partie des leviers qui vont donner du sens pour que le collaborateur puisse bien comprendre ce que l'on attend de lui et le niveau de service que nous devons à nos abonnés.
Chez Free, il y a un réseau social interne (Facebook Workplace) très utilisé par la communauté des centres de contact pour partager, entre autres, des retours d'expérience.Pour faire entrer la Voix du Client dans l'entreprise, on peut mettre en place un mur de verbatim pour y partager les tops et les flops des verbatim car cela permet placer le client au centre (et aussi parfois de sourire...). C'est d'ailleurs ce que j'avais mis en œuvre à La Poste e-commerce.
Les échanges peuvent être effectués à dimension variable, au niveau de l'ensemble des équipes nationales mais il y aura également l'avis de chaque centre, l'avis des plateaux ou via des groupes transverses ad hoc.Cela va faciliter les échanges sur les résultats de la qualité, les retours clients, les évolutions au niveau des process et outils,... et de travailler l'alignement.
La relation client est un métier où il faut s'assurer qu'un collaborateur ne soit pas seul face au client.Cet outil permet d'avoir des communications adaptées aux différentes situations. C'est entre autres à partir de cela qu'on va pouvoir offrir du sur mesure.
Le réseau social d'entreprise permet de partager des moments difficiles comme des moments de célébration et d'avoir du soutien des managers mais aussi de collègues aguerris.
Ce type d'outil permet de connecter l'expertise de manière extrêmement fluide.
Cela un vrai levier pour fédérer les équipes et avoir une prise plus directe avec le terrain.
Il faut répondre avec beaucoup d'humilité, car ce que l'on constate dans ce métier à évolution rapide qu'est la Relation Client, c'est qu'il est difficile de prévoir l'avenir.Quelles sont les tendances à venir dans le domaine de la relation client ?
Une des clés est donc de développer l'agilité des Services Client, comme la crise sanitaire du COVID l'a démontré.
Cela passe par l'adaptation permanente des processus aux besoins des clients qui peuvent évoluer de manière inattendue et rapide.
Le développement du selfcare est une tendance incontournable, qu'il faut accompagner pour répondre aux attentes des clients, néanmoins, elle atteint d'une manière ou d'une autre ses limites rapidement.
La différenciation de la qualité perçue, va se faire dans lors de toutes les interactions qui ne seront pas résolues en self care (souvent des moments de vérité).
En matière de canaux, j'ai la conviction que l'on va aller vers un équilibre de voix et les autres canaux, y compris avec l'automatisation sur ce canal avec le développement des Voicebots. La part du messaging va cependant certainement augmenter, sous différentes formes comme via WhatsApp, des solutions in-app...C'est là qu'il faut savoir être disponible et joignable, à chaque fois que le client a besoin de nous.
Cela va aboutir à un mélange de synchrone et d'asynchrone pour correspondre aux usages et à la disponibilité des clients.
La clarté des réponses et la facilité d'accès sont en effet les deux piliers d'une bonne expérience " relation client " !Il faut mettre à disposition du client des outils qu'ils utilisent dans leur quotidien, être présent au bon moment via le bon canal. Tout en restant simple et lisible dans sa joignabilité ce qui ne passe pas, à mon sens, par une multiplication parfois gadget des canaux.
Pour en savoir plus, retrouvez Jean Michel Hua sur Linkedin.
Découvrez la vidéo complète de l'échange avec Jean Michel Hua :