J’emboîte donc les pas de cette sympathique famille partie à la découverte de Paris en juillet 2020. Juste avant d’entrer dans le métro, la mère se retourne et constate cependant avec effroi que Mathilde, leur aînée de 12 ans manque à l’appel. Si cette disparition subite en plein jour dans un quartier touristique de la capitale semble inimaginable, le commandant Stéphane Jourdain comprend très vite qu’il peut ajouter un nouveau prénom aux « disparues du 9e ». Agnès, Fanny, Pénélope, Jessica et Ambre disparues en 2007, puis, treize ans plus tard, cinq autres adolescentes de douze ans volatilisées dans le même quartier parisien sans laisser aucune trace : Elena, Candice, Inès, Sophia et maintenant Mathilde. Aucune piste exploitable…jusqu’à l’arrivée de cet SMS anonyme invitant la police à « suivre les chiens » pour retrouver les gamines…
Avec « Bestial », Anouk Shutterberg ne fait pas dans la dentelle car ces disparitions de jeunes filles s’avèrent très vite être le sommet d’un iceberg particulièrement sombre. Une plongée en enfer qui fait froid dans le dos et qui invite le lecteur à côtoyer le côté le plus obscur et pervers de l’être humain. Des tréfonds du Dark Web aux combats clandestins de chiens, en passant par la pédophilie, le viol, la mafia ou le trafic d’êtres humains, « Bestial » installe progressivement un univers glauque, abject et écœurant qui ne va certes pas aussi loin que Mattias Köping dans « Le manufacturier », mais dont la noirceur pourrait tout de même rebuter les âmes les plus sensibles.
La construction non linéaire qui alterne les temporalités tout en baladant le lecteur à travers l’Europe, sur la piste d’un réseau criminel qui s’étend au-delà des frontières, peut surprendre au premier abord, mais insuffle finalement du rythme à l’intrigue au fil de chapitres assez courts. Si on ne perd jamais le fil de cette intrigue et que toutes les pièces du puzzle finissent par s’emboîter, l’autrice aborde tout de même un peu trop de thématiques à la fois et donne parfois l’impression désagréable de construire une intrigue qui part dans tous les sens en balançant de nouveaux éléments/personnages en début de chapitre sans prévenir. Pourtant, au final, force est de constater que l’ensemble est bien construit, que l’on dévore les chapitres à grande vitesse et que le dénouement final, particulièrement prenant, est à la hauteur des attentes… le tout rehaussé d’une playlist qui accompagne à merveille la lecture.
L’autre petit bémol qui m’empêche de transformer cette très bonne lecture en coup de cœur est le manque d’empathie envers les enquêteurs. Exception faite des derniers chapitres, j’ai parfois eu l’impression de lire un compte-rendu des évènements au lieu de les vivre de l’intérieur, dans la peau des personnages. Le fait que les policiers ne tirent pas véritablement l’enquête, mais que l’avancée repose souvent sur des indicateurs anonymes ou des éléments externes, n’y est probablement pas étranger. Où alors, c’est peut-être lié au fait de ne pas avoir lu « Jeu de peaux » car, même celui-ci peut se lire indépendamment du précédent, certaines références donnent parfois la désagréable impression d’avoir été invité à une soirée où tous les autres convives se connaissent déjà. Mais je pinaille probablement un peu trop là.
Du bon polar et une autrice à suivre !
Bestial, Anouk Shutterberg, Plon, 428 p., 18,90€
Elles/ils en parlent également : Aude, Laurence, Valmyvoyou, Aurore, Nadia, Azilis, Cassiopée, Litote, Willy, Collectif Polar, Florence, Yv
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