Trafalgar est le premier d'une série de quarante-six romans consacrés aux Épisodes nationaux espagnols. Son auteur, Benito Pérez Galdós (1843-1920), est un illustre inconnu en dehors de son pays.
Son narrateur, Gabriel, a quatorze ans quand l'escadre franco-espagnole commandée par le vice-amiral Villeneuve affronte le 21 octobre 1805 l'escadre anglaise commandée par le vice-amiral Nelson.
Maltraité par son oncle, ce garçon s'est enfui de Cadix après la mort de sa mère. Il a trouvé refuge, pour échapper au recrutement, chez un capitaine de navire à la retraite, résidant à Veyer de la Frontera.
Don Alonso Guttiérez de Cisnegia est un patriote. Bien qu'en piteux état physique, il est décidé à rejoindre l'escadre combinée, accompagné de Gabriel et de Marcial, le bien surnommé Moitié d'homme:
Un homme vieux, plutôt grand que petit, avec une jambe en bois, le bras gauche coupé à ras au-dessous du coude, un oeil en moins, le visage entièrement griffonné par une multitude de balafres...
Les trois partent en catimini. Doña Francisca, la femme de don Alonso, hostile à leur départ, son mari ayant été mal récompensé par le roi, tient ce voyou de Marcial pour responsable du projet insensé.
Part à la guerre également don Rafael (dont le père est un fieffé bonimenteur), le fiancé de Rosita, la fille de don Alonso et doña Francisca, au grand dam de cette dernière qui ne réussit pas à l'en dissuader.
Le récit de la bataille navale, raconté avec humour par Gabriel septuagénaire, est épique, homérique. Il se souvient de sa vision idyllique de l'idée de nationalité et de sa vision idéaliste de celle de justice:
Comme j'avais entendu dire que la justice triomphait toujours, je ne doutais pas de la victoire.
La bataille tourne à l'avantage des Anglais. Pourtant les siens ont autant de détermination qu'eux. Il constate que tous fraternisent dans le danger commun de la tempête après s'être entre-tués dans le combat:
Pourquoi les guerres, mon Dieu? Pourquoi ces hommes ne doivent-ils pas être amis dans toutes les circonstances de la vie comme ils le sont dans celles du danger? Ce que je vois ne prouve-t-il pas que tous les hommes sont frères?
Son diagnostic est certes juste: ce sont des hommes très mauvais qui fomentent les guerres, pour leur profit particulier, le pouvoir ou l'argent. Ils trompent les autres en les poussant à haïr d'autres nations.
Mais il a la naïveté de croire que cela ne peut pas durer et que les belligérants se convaincront qu'ils font une grande folie en déclarant de si terribles guerres et qu'un jour arrivera où ils s'embrasseront:
Ainsi pensais-je. Finalement, j'ai vécu soixante-dix ans et je n'ai pas vu arriver ce jour.
Il raconte un épisode où, confrontés à un danger mortel imminent, c'est-à-dire à une situation terrible, des hommes qui ne sont pourtant pas mauvais font preuve d'une compréhensible inhumaine cruauté:
Le sentiment et la charité disparaissent face à l'instinct de conservation qui domine entièrement l'être humain, l'assimilant parfois à une bête féroce.
Tout le monde, y compris les Anglais victorieux, fut perdant à Trafalgar, la France toutefois moins que l'Espagne. Pour expliquer sa défaite sur mer, masquée par ses victoires sur terre, Napoléon aurait dit:
Je ne peux pas être partout...
Francis Richard
Trafalgar, de Benito Pérez Galdós, 224 pages, Zoé (traduit de l'espagnol par André Gabastou)