Si le concept de « monnaie digitale de banque centrale » (CBDC pour l'acronyme en anglais) s'impose désormais au cœur des réflexions de nombreux états dans le monde, les explorations en la matière restent souvent à un niveau abstrait, bien loin de toute application pratique convaincante. Ce n'est pas le cas du Projet Orchidée de Singapour.
Plutôt que d'engager, comme on l'observe hélas trop souvent, des tests puérils et stériles, consistant à vérifier que des mouvements fictifs de fonds sont correctement enregistrés dans les bases de données (ceux qui ont si peu confiance dans la technologie feraient mieux de s'en tenir aux pièces et aux billets !), l'autorité monétaire singapourienne a confié à DBS une des premières expérimentations de son dollar numérique, dans un cadre limité mais opérationnel, sur un scénario réel et vraiment différenciateur.
En l'occurrence, l'opération a pour but d'évaluer sur le terrain les bénéfices potentiels de l'instrument avec un dispositif de bons d'achat ciblés gouvernementaux, dans la même logique que celle qui prévaut chez nous dans l'attribution d'aides spécifiques (par exemple sur les dépenses de carburant) face à la flambée des prix. Ce premier pilote, dont la durée prévue est de quatre semaines, concerne un millier de consommateurs et six enseignes populaires (restaurants et cafés, particulièrement affectés par la crise).
La promesse sous-jacente à la tentative de « digitalisation » avancée des coupons, alors qu'ils sont déjà largement exploités, y compris dans un format électronique, est de profiter de la capacité inédite de programmer les usages de l'argent distribué grâce à des contrats intelligents, de manière à éliminer dès son émission toutes les tracasseries administratives habituellement liées à ces outils (et la charge de travail qu'elles représentent pour les entreprises) tout en évitant les délais de remboursement.
Au-delà du périmètre retenu pour l'expérimentation de DBS, la perspective envisagée s'étend à toutes les opportunités d'attribution d'argent dans un objectif précis. Plus précisément, l'idée est de procurer à un payeur la faculté de définir – moyennant la création et le déploiement d'un algorithme ad hoc, à sa main – les obligations et contraintes qui régissent la destination des sommes qu'il envoie. Les subventions publiques, mais aussi les donations à des associations ou certains paiements (tels que ceux des assureurs), fournissent quelques options de mise en œuvre possibles.
Les « monnaies digitales de banque centrale » suscitent autant de scepticisme que de curiosité parmi ses multiples parties prenantes. Étonnamment, rares sont aujourd'hui les initiatives qui cherchent à démontrer en conditions réelles les avantages que leur prêtent facilement leurs défenseurs… sur le papier. La démarche de DBS en est une et, si elle est correctement menée, elle pourrait être riche d'enseignements, entre autres sur la véritable faisabilité de ce principe de programmation de l'argent, dont chacun connait (ou devrait connaître) maintenant les dangers s'il n'est pas parfaitement maîtrisé.