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Philippe Alexandre, émotion et perte sèche pour l'analyse politique française

Publié le 01 novembre 2022 par Sylvainrakotoarison

01" La politique est un abrégé de la comédie-tragédie humaine. Elle conjugue les arts de la guerre, du spectacle, du discours et aussi du mensonge. Les hommes et les femmes qui en font profession ne sont pas plus malhonnêtes et pas plus vertueux que la moyenne des Français. Même s'ils ne traduisent pas la diversité de la population et la totalité des couches sociales, ils sont bien à l'image de ceux qu'ils représentent. "Tous pourris !" est une imprécation injuste, infâme. " (Philippe Alexandre, 2011).
er novembre 2022)
Philippe Alexandre, émotion et perte sèche pour l'analyse politique française
L'éditorialiste politique Philippe Alexandre est mort à l'âge de 90 ans la veille de la Toussaint, ce lundi 31 octobre 2022 au Touquet où il devait habiter (je le suppose car il a toujours été très avare d'informations personnelles). Selon le journal "Ouest France", " "Philippe Alexandre s'est éteint ce matin paisiblement", a précisé l'une de ses deux filles, Agnès Alexandre-Collier, dans un message transmis à l'AFP avec l'accord de sa sœur et sa belle-mère, la journaliste et écrivaine Béatrix de l'Aulnoit ".
Comme beaucoup de monde, je le considérais comme le meilleure éditorialiste politique pour une raison simple : il n'a jamais eu d'allégeance avec aucun pouvoir, au contraire, tous les pouvoirs l'ont craint un jour ou l'autre et ont cherché, d'une manière ou d'une autre, à le faire taire, mais heureusement, le redouté avait la chance d'avoir un employeur politiquement indépendant et solide, qui le soutenait et riait même des multiples tentatives de déstabilisation des pouvoirs en place (de droite ou de gauche).
Cet employeur, c'était la station de radio RTL, pour qui il faisait la très attendue chronique politique chaque matin à 7 heures 45, tous les jours de la semaine d'avril 1969 à juin 1996, une trentaine d'années pendant lesquelles il délivrait des informations politiques de première fraîcheur et qui n'avaient probablement pas vocation à être dévoilées, la classe politique la craignait en général.
Du reste, Philippe Alexandre devait être le seul éditorialiste politique, ou l'un des très rares éditorialistes, à refuser tous les dîners en ville, ou les déjeuners en ville avec des responsables politiques, méthode relativement facile pour avoir des contacts et des infos mais qui a la mauvaise conséquence de copiner avec la classe politique avec le risque de ne plus être totalement objectif et surtout indépendant. D'ailleurs, il se couchait tôt puisqu'il travaillait dès la première heure du journal le matin. L'une de ses fiertés était aussi que personne n'aurait été capable de dire pour qui il votait à chaque élection, ce qui n'était pas forcément le cas de tous ses collègues !
Philippe Alexandre, émotion et perte sèche pour l'analyse politique françaisePatrick Poivre d'Arvor.
Nicolas Hulot.
Avec le mordant, la voix française très grave, et l'air de rien du paisible mais perspicace lieutenant Columbo, Philippe Alexandre était, selon Serge July, ancien patron et fondateur de "Libération", le " pionnier du poil à gratter radiophonique et du trait à la pointe sèche ". Il assumait cependant que certaines chroniques pussent aller trop loin et il reconnaissait ainsi dans "Le Figaro" le 7 janvier 2016 : " [Mes] éditoriaux ont été écrits dans la fournaise de l'actualité de l'époque. Bien sûr, quelques-uns peuvent traduire des humeurs, de la mauvaise foi, des excès, mais n'est-ce pas le propre de la fonction d'éditorialiste ? ".
Tous les pouvoirs ont cherché à l'écarter du micro parce que toutes les vérités n'étaient pas forcément bonnes à dire pour ceux qui voulaient la voiler. Le pouvoir gaulliste était très remonté contre lui mais l'arrivée d'un gouvernement socialo-communiste lui a donné encore plus de grains à moudre pour mettre face à leurs réalités et contradictions des pouvoirs généralement cyniques et parfois incompétents. Il avait commencé ses chroniques à la radio à la suite de son ouvrage sur les événements de mai 68 ("L'Élysée en péril : les coulisses de mai 68" chez Fayard) qui avait eu un grand succès (au grand dam des gouvernements de l'époque).
Plutôt homme d'écriture qu'homme d'audiovisuel, avec le sens de la formule-qui-tue, Philippe Alexandre avait commencé en 1951 à la rédaction du journal "Combat" puis d'autres revues, en particulier "Jours de France" et "Le Figaro littéraire". Il a fait une échappée télévisée dans les années 1990, alors que c'était rarement son trip d'aller sur les plateaux de télévision (on ne le voyait guère aux soirées électorales à la télévision, par exemple, alors que ses collègues, si, comme Alain Duhamel, par exemple).
Ainsi, entre 1989 et 1992, il a participé à un talk-show politique hebdomadaire, pour commenter l'actualité politique de la semaine, avec Michèle Cotta et Serge July, sur TF1, puis, entre 1992 et 1994, cette émission a été diffusée sur France 3 ("À la une sur la 3" puis "Dimanche soir", en deuxième partie de soirée chaque dimanche), avec toujours son compère Serge July, et cette fois-ci, animée par Christine Ockrent. Cela lui a apporté une notoriété auprès du grand public (seule la classe politique le connaissait bien), jusqu'à la consécration d'avoir sa propre marionnette dans la série des "Guignols de l'Info" qui insistait sur la petite poire (ou prune, j'ai un doute, je ne me souviens plus) ainsi que sur les "cahuètes" qu'offrait la reine Christine à ses deux invités éditorialistes. Je me permets cependant de préciser que si les analyses de Serge July m'ont toujours paru vides et creuses (désolé de l'écrire, il a pris l'habitude de parler pour ne rien dire), celles de Philippe Alexandre m'ont toujours paru, au contraire, très denses et intéressantes, au contraire de l'image que les "Guignols de l'Info" ont voulu lui coller à la peau.
Philippe Alexandre, émotion et perte sèche pour l'analyse politique française
Parallèlement à son métier de chroniqueur politique, il écrivait, au début surtout sur des sujets politiques, l'un de ses ouvrages politiques les plus intéressants était "Paysage de campagne" (chez Grasset en 1988), qui reprenait ses chroniques sur la campagne de l'élection présidentielle de 1988. Et bien sûr, le plus connu et le plus emblématique fut, en coécriture avec Béatrix de L'Aulnoit, "La Dame des 35 heures" (chez Robert Laffont en 2002), un pamphlet persifleur très dur contre Martine Aubry qui l'a trouvé fort injuste et l'a pris comme une attaque personnelle plus que politique, une dureté qui a toujours été dans le "logiciel" (comme on dit, on pourrait dire aussi "dans l'ADN") de l'éditorialiste, mais là, il avait quand même fait très fort, ce qui a engendré un énorme succès éditorial.
Au début de sa carrière, il avait aussi écrit sur Gaston Defferre (c'était son premier essai chez Solar, en 1964), à une époque où l'hebdomadaire de JJSS "L'Express" l'avait poussé ("Monsieur X") à se présenter contre De Gaulle à l'élection présidentielle de décembre 1965. Il a écrit des essais très durs aussi contre les gaullistes, contre François Mitterrand (il a rassemblée deux septennats de chroniques dans "Notre dernier monarque", chez Robert Laffont en 2016, en collaboration avec sa fille Agnès Alexandre-Collier), et plus généralement, contre la classe politique, ce qui ne l'a pas empêché toutefois d'être l'auteur du "Dictionnaire amoureux de la politique", chez Plon, en 2011.
Après ses chroniques à la radio (en 1996, il avait 64 ans, il avait démissionné de RTL pour s'opposer à la fusion du groupe CLT avec le groupe Bertelsmann), il a fait des chroniques politiques sur BFMTV et sur France:3, puis il a pris sa retraite de l'activité quotidienne mais ne s'est pas arrêté à écrire. Au contraire, il en a profité pour écrire avec sa compagne Béatrix de L'Aulnoit des essais historiques, en particulier sur la reine Victoria (chez Robert Laffont en 2000), sur la mère de Louis XIV (chez Robert Laffont en 2009), sur l'épouse de Winston Churchill (chez Tallandier en 2015) et sur le premier voyagiste Thomas Cook (chez Robert Laffont en 2018). En 2017, il a sorti également une quasi-autobiographie très remarquée, beaucoup plus intimiste et personnelle que d'habitude ("Ma tribu plus que française", chez Laffont), où il expliquait l'origine juive de sa famille, son ascension sociale depuis deux siècles et le martyr de beaucoup des membres de sa famille, victimes la Shoah.
Philippe Alexandre, émotion et perte sèche pour l'analyse politique française
Philippe Alexandre sera enterré le 5 novembre 2022 au cimetière du Touquet, qu'il y repose en paix.
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