" Paysage d'hiver de la vallée de la Loire inondée : une nappe d'eau rêche, que la bise de Noël hérisse, couvre les prairies de la Thau ; seuls émergent ça et là, accotés aux quelques frênes têtards épargnés par le remembrement, les affûts de branchages des chasseurs de canards. Au travers de la légère brume de gel qui embue la vallée et éteint toute couleur ne transparaît plus qu'une Picardie froide et grise des basses terres, un laagland flamand noyé par quelque rupture d'écluse, sur lequel le maigre jour d'hiver entrouvre à peine, l'espace de quelques heures, une paupière d'ennui. "
" À Saint-Florent. Je regarde le paysage sur lequel donne la fenêtre de ma chambre, et qui est bien ce que j'ai le plus souvent regardé au monde. Il me semble que j'entends encore passer sur lui le son des cloches des vêpres de mon enfance, le dimanche, son pulpeux, mûri et comme ambré, au travers duquel la journée de luxe et de loisir entamait son automne. Je regarde la colline du Mesnil, la courbe de la Loire, la muraille verte des peupliers de l'île, derrière laquelle montent et débordent avec lenteur les cumulus cotonneux de ce premier après-midi d'octobre. "
Le livre : Noeuds de vie - Julien Gracq - Editions José Corti