Époque. Non, notre avenir ne se résume pas à un business plan, en une époque où nous survolons les données macroéconomiques en tant que radiographie d’une France en mutation. Entre révolution du rapport au travail, inflation inquiétante, abstention galopante et capharnaüm aux portes du pays, ne serait-il pas temps de bousculer cette vieillotte et fallacieuse distribution des rôles en redonnant du « sens » à l’horizon de notre société? À propos d’«époque», nous éprouvons à quel point la nôtre a jeté aux orties le «pourquoi» et le «comment», et n’admet désormais quasiment plus qu’un adverbe fétiche, hors duquel point de salut: combien? C’est la pente arithmétique imposée à tous. Faire du chiffre, pour mériter l’estime générale. Nous dévalons avec effroi, tandis que dans le cœur vivant des citoyens qui souffrent des crise, tout s’affaisse, jusqu’à la peur du lendemain.
Décor. Il n’y a pas si longtemps, en 2021, la lecture de l’essai cosigné par Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, la France sous nos yeux (Seuil), pavé de près de 500 pages, nous avait passionnés autant qu’inquiétés. Aucune réponse ne s’y trouvait, mais le coup de scanner donné à toutes les structures du pays était saisissant de vérité. Une véritable «grille de lecture» actualisée de la société. Les auteurs s’étaient en effet lancés dans la rédaction de l’ouvrage après s’être rendu compte que les études sociologiques, jusque-là, restaient essentiellement basées sur le modèle de la France des années 1980, modèle obsolète qu’il fallait sérieusement revisiter après quatre décennies de profond changement. De la «vieille» France au «monde d’après», en quelque sorte, sachant que nos sociétés sont entrées pleinement – définitivement? – dans l’univers des services, de la mobilité, de la consommation, de l’image et des loisirs composant une nouvelle France ignorée d’elle-même. Les auteurs plantaient le décor actuel composé de plateformes logistiques, d’émissions de Stéphane Plaza, de kebabs, de villages de néoruraux dans la Drôme, de boulangeries de ronds-points. Cette nouvelle «organisation» est aussi celle d’une société dont les représentants egocentrés et avides de Web shopping sont plus nombreux dans les parcs à thèmes que dans les monuments historiques, et représentent des cibles idéales des partis politiques d’extrême droite. Un odieux raccourci? Peut-être, ou pas.
Curseur. Depuis la rentrée de septembre, les Français se déclarent «pessimistes» à 75% environ. Du jamais-vu sur la période étudiée de référence, qui court sur vingt-cinq ans. Pouvoir d’achat, questions climatiques, perspectives de guerre, pauvreté galopante : tout semble en place pour le grand saut dans l’inconnu, dans l’attente d’une alternative politique franche et massive, d’un nouveau rapport de forces et de classes. Pour vaincre collectivement le libéralisme globalisé, demandons-nous aussi pourquoi, depuis plus de trente ans, les opposants à la contre-réforme ont toujours été battus – à l’exception de la victoire bienvenue de 1995. Victoire relative dans le temps long, puisque la «réforme» fut finalement imposée sous Nicoléon quelques années plus tard. Nous connaissons la «mécanique»: si les libéraux de tout poil font valoir des droits nouveaux, comme le compte personnel d’activité, la réponse des opposants consiste trop souvent à dire que ces droits sont «insuffisants», au lieu de les dénoncer comme «capitalistiques» dans leur logique, et de promouvoir la qualification de la personne: toujours une lecture en termes de curseur et de partage, bref, sur la défensive, jamais en termes de statut de producteur et de régime de propriété. Le moment est venu de «jouer» radicalement l’affrontement, pas à côté. Déplaçons et déportons-nous de la stratégie de l’échec – centrée sur un meilleur partage de la valeur – vers une stratégie de renforcement du mode de production communiste. Sortons du «conflit de la répartition» pour mener la vraie lutte des classes, celle qui dispute à la bourgeoisie et à l’oligarchie financière le pouvoir sur la valeur.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 octobre 2022.]