Critique de Lady Agatha, de Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos, vu le 19 octobre 2022 au Théâtre Saint-Georges
Avec Camille Favre-Bulle, Tatiana Gousseff, Marie-Aline Thomassin, Matthieu Brugot, Erwan Creignou et Léo Guillaume, mis en scène par Cristos Mitropoulos
Ça fait un petit bout de temps que je n’ai pas mis les pieds au Saint-Georges, et je suis ravie d’avoir plusieurs bonnes raisons d’y retourner. Mes premières bonnes raisons s’appelle Cristos Mitropolos et Ali Bougheraba, et sont les co-auteurs du spectacle. Ma troisième bonne raison se nomme Camille Favre-Bulle, découverte avec la même bande dans Sarvil l’oublié de la Canebière il y a un moment déjà. Et ma dernière raison s’appelle Agatha Christie, liée comme pour beaucoup à des moments de lecture marquant, et dont la vie m’est totalement inconnue. Des retrouvailles et des découvertes, ça sonne comme un bon début, non ?
Deux sentiments un peu contraires s’affrontent au sortir de la pièce : j’ai passé un bon moment, mais j’ai quand même ressenti certaines longueurs. C’est simple, sur mes notes, j’ai écrit à la suite « Très sympathique » et « Trop long ». Pour être tout à fait honnête, connaissant déjà le travail d’une partie de la troupe, j’avais quelques attentes et c’est peut-être une certaine forme de déception qui appuie aussi cette impression de longueurs. Les sachant capables de la perfection, je laisse plus difficilement passer certaines facilités présentes dans le spectacle.
Car c’est à elles que j’impute ces longueurs, surtout présentes dans le début du spectacle. On y présente l’éducation d’Agatha Christie, sa jeunesse, les différentes affaires de famille qu’elle traverse. Ce n’est pas inintéressant en soi, mais ça n’apporte pas non plus d’éléments clés pour la suite de l’histoire si bien qu’on aurait peut-être pu passer un peu plus rapidement dessus. D’autant que tous les personnages qui entourent Agatha Christie sont comme surjoués, dans des compositions toujours caricaturales, évoquant parfois même le gag : cela donne surtout un sentiment « d’occupation » des spectateurs en attendant que l’histoire commence vraiment. C’est presque dommage, car cette maniérisation systématique des personnages est contre-productive, certaines compositions très réussies se perdant un peu dans le lot.
© Cédric VasnierCes compositions marquées sont d’autant plus visibles qu’elles entourent une Agatha Christie totalement naturelle incarnée avec brio par Camille Favre-Bulle. On connaissait surtout l’artiste à travers sa voix incroyable, on découvre à présent tout l’étendue de son talent d’actrice. Et quel talent ! Ce qui marque en premier, après son charisme fou – car cette comédienne rayonne et illumine tout le plateau par un simple sourire – c’est sa sincérité absolue. Elle émane probablement de cette espèce d’aura qu’elle dégage, et elle touche en plein coeur. Impossible alors de ne pas s’attacher à son personnage. Il faut dire aussi qu’elle porte haut les valeurs d’Agatha Christie, cette femme moderne, courageuse, et complètement libre. A la regarder, tout semble une évidence. C’est elle qui parvient à nous embarquer dans la pièce, et sa spontanéité mêlée à son énergie sont telles qu’on aimerait sauter avec elle sur le plateau.
Car on a commencé par le négatif, mais il y a beaucoup de choses qui fonctionnent complètement sur le plateau. Et encore plus à partir du moment où Agatha Christie commence à écrire, car les auteurs ont alors donné vie à ses personnages, et ce pour notre plus grand plaisir ! C’est inventif et drôle, c’est fait avec beaucoup de doigté, et ça donne de très chouettes moments de théâtre. De manière plus globale, la scénographie fonctionne beaucoup (et très bien) sur le mouvement. Elle utilise beaucoup les praticables, mais toujours à bon escient, et parvient à complètement faire exister le monde qui entoure Agatha Christie. Et c’est finalement assez fondamental, car cette incroyable vie prend toute son ampleur lorsqu’on la considère aussi à l’aune de l’Histoire : Agatha Christie a traversé presque tout le vingtième siècle, et c’est parfaitement représenté sur scène. Tout bouge, tout se renouvelle, tout avance… à la manière d’un bon roman policier.
Il faut le temps que ça s’installe, mais une fois dedans, la machine s’emballe, emportée par une merveilleuse duchesse du crime : Camille Favre-Bulle.
© Cédric Vasnier