Par les petites manœuvres mesquines de la plupart d'entre elles, les institutions financières ont réussi à entraver le développement du paiement instantané en Europe… mais elles en seront pour leurs frais, puisqu'un texte adopté cette semaine propose de leur imposer des obligations supplémentaires afin de lever les obstacles résiduels.
Le constat dressé est assez tragique et a déjà suscité des réactions virulentes des autorités. Cinq ans après le lancement de la plate-forme SEPA dédiée, seuls 11% des virements interbancaires transitent par celle-ci, alors que sa promesse de finaliser les opérations en moins de 10 secondes est considérée comme un facteur important pour la santé financière des consommateurs (notamment pour leurs règlements et encaissements d'urgence) et des entreprises (pour l'optimisation de leur trésorerie…).
En réalité, la situation n'a rien de surprenant, au vu des efforts engagés par l'industrie qui, d'une manière ou d'une autre, freinent l'adoption du paiement instantané. D'emblée, la tentative généralisée de profiter de l'aubaine pour créer une nouvelle source de revenus, en facturant les opérations à prix d'or, révélait le cynisme de la profession face aux ambitions exprimées par les promoteurs du système. Sans parler des banques qui restent à l'écart et en interdisent de la sorte l'accès à leurs clients (en émission et en réception).
La Commission Européenne a donc logiquement décidé de taper du poing sur la table. La proposition législative qu'elle soumet au parlement et au conseil a ainsi vocation à écarter l'ensemble des dérives observées. Concernant les deux précédentes, elle veut, d'une part, rendre obligatoire l'option instantanée chez tous les prestataires offrant des virements en euros, et, d'autre part, en faire un instrument abordable, moyennant un plafonnement du prix au niveau des transferts classiques (en un jour ouvré).
En outre, afin de mettre un terme aux prétextes fallacieux de sécurité justifiant certaines réticences, autant que dans le but de réduire un risque réel et avéré, le contrôle de concordance entre le titulaire du compte destinataire et le nom du bénéficiaire indiqué par le payeur, permettant de déclencher une alerte sur les escroqueries les plus courantes, sera systématiquement exigé. Enfin, une disposition sur le filtrage des personnes faisant l'objet de sanctions devrait écarter toute mauvaise foi sur les délais de traitement.
Sciemment ou non, le secteur bancaire a fait une nouvelle fois la brillante démonstration de sa capacité à paralyser l'innovation… à l'opposé de l'intérêt de ses clients, faut-il préciser. En conséquence, il va devoir bientôt se plier à un corpus de contraintes additionnelles, dont il ne manquera pas de se plaindre éhontément, comme toujours. En attendant l'entrée en vigueur du texte, que de temps perdu ! Les consommateurs et les entreprises auront souffert indûment pendant des années (de trop) des quelques 200 milliards d'euros bloqués quotidiennement entre deux écritures de compte.