Je démarre sur ce blog une nouvelle rubrique, nommée " rattrapage ", qui va me permettre de rapatrier d'anciens billets, en provenance de mon ancien blog. Après le billet sur Annie Ernaux, je profite de la sélection de Brigitte Giraud au Goncourt 2022 (à l'heure où j'écris ces mots, ils ne sont plus que quatre), pour partager avec vous mon admiration pour cette autrice que je lis fidèlement. Bref, il m'a paru encore une fois inconcevable que ces lectures ci-dessous ne soient pas ici... Le reste de mes lectures de Brigitte Giraud sont à retrouver là [clic].
" Il faut que j'aie des antennes, que je sois double en permanence, à l'affût du moindre signe, du moindre indice.
Mais ce qui complique la donne est que la fille au pair n'est pas une fille dans une simple situation de travail. On attend d'elle un service rendu mais aussi une présence particulière, une façon d'être, la construction d'un lien, on attend d'elle qu'elle donne de son temps, de sa patience, de son énergie, comme le ferait une grande soeur éternellement bien disposée. On attend d'elle qu'elle mette en scène la touche d'exotisme qui fait la différence, celle pour quoi on l'a choisie et qui valorise la famille par sa présence " si particulière ", par son style français inimitable, qu'elle même ignore évidemment. " Nous sommes dans les années 80, à l'ère de Cure, des cassettes audio, du Mark fort et des mobylettes. Laura a dix-sept ans, et pour fuir une ambiance familiale tendue, la jeune française décide de partir en Allemagne comme jeune-fille au pair. Elle arrive chez les Bergen, un couple et deux enfants, qui semblent vivre sans se soucier du temps qui passe, des tâches à accomplir, ou de lui signifier quel est véritablement son rôle... Je suis (du verbe suivre) Brigitte Giraud depuis quelques temps déjà, fascinée par mes précédentes lectures (La Chambre des parents, J'apprends ou L'amour est très surestimé). Ce titre là, dont je n'attendais pas grand chose, m'a d'emblée séduite et ce dès les premières pages. Je suis donc heureuse de mon choix en cette rentrée littéraire, et de ma lecture !! Qui s'est déjà retrouvée dans cette situation là, intégrer un foyer pour s'occuper d'enfants, dormir chez cette famille, y passer tout son temps, saura que l'auteure a su trouver les mots qu'il faut pour décrire au mieux la gêne, l'adaptation nécessaire, l'extrême acuité que cela suppose dans les premiers temps, barrage de la langue existant - ou pas, et la transformation de soi que cela implique aussi, inévitablement. J'ai beaucoup aimé ici l'écriture, la description de journées longues comme un puits sans fond, ce petit rythme qui se met doucement en place, les rapprochements affectifs qui se nouent et se dénouent. J'ai aimé le personnage de Laura, terriblement attachante avec sa coiffure en pétard, ses découvertes littéraires tendancieuses et sa manière d'être si mûre et si fragile à la fois. Dans une ambiance qui peut sembler morose, mais qui permet à Laura de comprendre qui elle est, ce roman poursuit une route " en quête de soi " au charme certain. Et j'ai été charmée. " Mon empressement et mon application n'apportent rien à cette famille hors du commun. J'ai voulu être irréprochable, disponible et parfaite, toujours prête à me charger d'une corvée, à me rendre utile, malgré la sensation que j'avais de m'éloigner de moi. Je préférais nettoyer le four ou promener le chien plutôt que me confronter à ma vacuité. A vrai dire, je ne sais ce que je préfère, me rapprocher de moi avec le risque de me trouver, de supporter le vrai visage de ma solitude, ou m'inventer un double, brave soldat toujours prêt à exécuter les ordres, soumis et vigilant, un être qu'on utilise, qu'on épuise et qu'on oublie. "
" Ca commence comme ça. Les yeux du garçon dans ceux de la fille. Quelque chose est arrivé. "
Voici ce que j'ai écouté il y a quelques jours, la nouvelle Baby-foot, accompagnée de musique, musique créée en écho au texte, texte écrit dans le but d'être accompagné de musique. Il s'agit ici d'une performance autour de l'écriture, et d'affinité musicale. J'ai aimé le récit de Brigitte Giraud qui trouve décidément toujours des mots justes et simples, évidents, pour parler du présent, j'ai été moins sensible au mélange voix et musique. A l'occasion de ces deux rendez-vous j'ai pu constater à quel point l'auteure a une personnalité attachante, souriante et accessible. J'espère beaucoup la sortie d'un nouveau roman pour bientôt. Baby-foot conte un amour d'été à hauteur d'adolescence, chaleur, regards, et passage de l'enfance à cet autre chose que l'on ne perçoit pas encore, mais qui chavire le corps et le coeur, ce quelque chose que l'on peut appeler aussi grandir.
( le billet de 2011) Pas d'inquiétude" Ce fut [...] un début en douceur, sans la violence des mots, une auscultation tout en retenue, et en rentrant tournait dans ma tête la dernière phrase prononcée par le médecin. Plus je remâchais ce pas d'inquiétude, plus ma gorge se serrait. Pas d'inquiétude n'était pas compatible avec sans tarder, le médecin se contredisait, et en même temps je me rassurais, non, rien de plus normal, il voulait juste qu'un spécialiste prenne le relais, son sérieux était réconfortant, il valait mieux envisager les choses à temps. " Pas d'inquiétude raconte l'histoire d'une famille ordinaire, qui vient tout juste de prendre possession d'une maison neuve, dans un lotissement tel qu'il en pousse partout aujourd'hui, après avoir vécu pendant des années dans l'exiguïté d'un appartement trop petit pour quatre. Le couple a décidé de garder les finitions pour plus tard, pour eux, par soucis d'économie. Le rêve est donc là, enfin à portée de main, mais c'est la maladie qui s'invite. Medhi, le plus jeune est atteint d'un cancer. Alors, les travaux attendront, il faut s'organiser, prendre des congés. La mère venant tout juste de commencer un nouveau travail où elle doit faire ses preuves, c'est au père qu'incombe de laisser le sien de côté pour faire face à l'urgence. Le présent prend tout à coup toute la place. Ce roman est d'un charme discret et profond. Brigitte Giraud excelle encore une fois, après son magnifique Une année étrangère, à se mettre à la place d'autrui. Ici, le narrateur est un homme. D'habitude, en de telles circonstances, c'est la douleur d'une mère qui nous est offerte, placée immédiatement au creux du ventre. Un homme, lui, ne sait pas toujours quoi faire de son inquiétude, il n'a pas les codes, il réagit différemment. Alors il tait sa peur, son infini désarroi et offre ce qu'il peut, sa présence, ses initiatives, et parfois ses maladresses. L'auteure a vraiment trouvé ici dans son écriture le ton juste pour nous en parler. J'ai reconnu également dans ces pages l'attitude qui a été la nôtre lors du séjour de Petit Dernier en service de néonatologie par exemple, cette volonté de minimiser l'inquiétude auprès de l'entourage, cette propension à s'isoler autour du noyau étroit et dur que l'on forme soudain. A ce moment là, comme ce qui se passe dans ce roman-ci et que je tairai pour conserver le mystère de la découverte, tout geste de générosité, de compassion sincère, devient terriblement réconfortant et lourd de sens. Une lecture de rentrée qui mérite vraiment que l'on s'y intéresse.
( le billet de 2013) Avoir un corps" Je m'habitue à l'idée d'être là, d'avoir une place, même si ma place a changé. J'accepte d'avoir à nouveau une présence, une épaisseur, un corps qui n'est pas fait que de lignes brisées, qui évite les pierres sur le chemin, qui transpire en haut du col. [...] Je sens comme cohabitent le petit animal en short de l'enfance qui escalade le toboggan, la gymnaste marchant sur la poutre, l'adolescente qui danse sur Imagine, l'amoureuse qui monte derrière la moto, la libraire en équilibre sur un escabeau, la mère qui maintient Yoto contre sa hanche. Je marche sur le sentier et cette sensation devient concrète, je suis faite de toutes ces pièces, comme si mon corps était une maison où vivent ensemble le vif de l'existence, fait de désirs, de force et de pulsations, mais aussi l'absence. Tous ces corps de fille évoluent sous le même toit et tissent une mémoire serrée. Je suis ici mais aussi là. " Par le prisme de l'évolution d'un corps, Brigitte Giraud nous emmène dans Avoir un corps à la découverte d'une petite fille qui devient grande, puis mère. Et c'est toute l'aventure de la vie qui nous est contée ici, quotidienne, faite d'expériences, de blessures, de douceurs, de pudeur et d'impudeurs. La conscience de soi passe sans transition de l'illusion de la maîtrise du corps, frôlant l'anorexie, à cette infinie confiance/ inconscience qui mène chaque femme à la maternité. Cette petite fille que Brigitte Giraud regarde grandir, et dont elle s'approprie les rêves et les désirs par le " je " est un peu nous, un peu elle sans doute, et est très ancrée dans une époque. Et c'est là que l'auteure excelle, quand elle raconte l'enfance, la naissance du frère, les jeux, les premiers émois, l'envie d'enfanter contre lequel on lutte d'abord puis se soumet. J'ai aimé que règne dans son roman une réflexion sous-jacente sur le libre arbitre, et qu'elle souligne combien la féminité est une valeur sociale avec ses codes. Etre un corps d'enfant, se transformer, puis être une femme, être une mère, et tout cela sans jamais perdre la conscience de soi, de sa peau, sans se perdre, s'oublier, oublier de se regarder, de se voir... tout cela est parfois si difficile, fragile, sur le fil. Avoir un corps est une lecture coup de coeur en cette rentrée littéraire, il serait étonnant qu'il en soit autrement.
(le billet de 2015) Nous serons des héros" La première nuit dans la maison fut particulière. J'étais isolé sous le toit, je voyais le ciel par le velux ouvert, la petite chambre était une fournaise. A ce moment là de l'année, il y avait beaucoup d'étoiles, je les observais depuis mon lit, j'avais l'impression que le ciel bougeait, que mon matelas tanguait. Ma tête tournait, se vidait, se remplissait d'images trop vives, celles du Portugal sous le soleil. Je voyais mon père sur un cargo, qui flottait sur l'océan, toujours cette même image. Je me surprenais encore à demander quand il allait rentrer. Puis j'entendis ma mère et Max qui parlaient en bas. J'avais envie de faire un sac et de partir dans la forêt, vivre avec Oceano, j'étais fatigué. " Olivio et sa mère fuient la dictature portugaise, redoutant des représailles. Le père d'Olivio a été arrêté et est mort en prison. Mais le jeune garçon l'ignore, alors que le train l'emmène du Portugal vers La France. Il s'imagine le revoir, il ne sait pas ce qui l'attend dans ce pays inconnu vers lequel il roule, et il sert contre lui son petit chat Oceano. En France, aidés par des compatriotes, ils sont confrontés à une nouvelle langue, doivent refaire leur vie modestement. La mère d'Olivio trouve enfin du travail, rencontre Max, s'installe avec lui dans un pavillon de banlieue. Le quotidien devient morne, souvent tendu et inconfortable pour le jeune Olivio qui se réfugie le plus souvent possible auprès de son ami Ahmed. En effet, Max préfère visiblement son fils Bruno qu'il reçoit en garde alternée. La mère d'Olivio est partagée, passe son énergie à apaiser et composer, à se faire sa place dans cette nouvelle vie. Un jour pourtant, la révolution des oeillets a lieu, et revoir Le Portugal redevient une possibilité. J'ai retrouvé dans ce roman la voix tranquille et posée de Brigitte Giraud qui sait ici très bien se mettre dans la peau d'un petit garçon confronté à l'exil, au déracinement, puis à l'enracinement. Les petits garçons sont capables de supporter beaucoup de chamboulements du moment que l'amour est là, l'affection. Dans cette histoire, la solidité des adultes n'est pas acquise. Heureusement, Olivio peut compter sur l'attention de son chat et de son meilleur ami Ahmed, mais cela semble tellement peu. Nous serons des héros ne fait pas dans le tapage et la grandiloquence mais met réellement en lumière l'actualité de cette rentrée par le prisme d'anciennes migrations. C'est certainement un hasard, mais cette coïncidence m'a émue et touchée.
( le billet de 2016) L'amour Ping-Pong - Albin de la Simone & Brigitte GiraudJ'ai décidé d'aller à cette soirée jeudi soir, celle qui réunit Brigitte Giraud et Albin de la Simone... et j'ai passé un super moment. L'écriture de Brigitte Giraud, bien entendu... mais également la voix, l'inventivité, la grâce d'Albin de la Simone. Bref, c'était vraiment bien. Je pense vous mettre quelques unes de ses chansons très bientôt. Si le programme passe dans votre ville, allez-y, foncez.
Blogueuse littéraire depuis 2006 Voir tous les articles par Antigone