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gagner sa vie

Publié le 13 août 2008 par Modotcom
La vie, elle est gagnée dès lors que maman nous met au monde. Généralement, on est le fruit de l'amour, ce qui en soit est un énorme cadeau.
Employer "gagner sa vie" pour exprimer "subsister", je crois que c'est mal dit. Gagner c'est plutôt le contraire de perdre. Or, perdre sa vie, ça semble assez grave, c'est le plus grand gaspillage. Alors que "gagner" voudrait dire "décrocher le gros lot". Quand je pense au gros lot, je sais que je l'ai déjà décroché; je suis une femme comblée.
Je voulais plutôt parler aujourd'hui de subsister. Je pensais à cela hier alors que je flânais dans les rues absorbant tranquillement la douceur de vivre. Donc : travailler pour subsister s'oppose à "faire carrière", "oeuvrer", "être au service de"... avoir une mission, une vocation. Il faut effectivement posséder un moyen de subsistance lorsqu'on vit en ville et qu'on n'est pas autosuffisant. À mon plus grand regret, on ne peut pas juste se promener le matin dans son quartier, aller faire les courses l'après-midi en marchant au soleil dans la Petite Italie, Ipod enfoncé dans les oreilles, passant le tourniquet de chez Milano après avoir siroté l'espresso au Caffe Italia, puis passer l'après-midi à préparer de la bouffe... ce que j'aime tant faire lorsque je suis une entrepreneure délinquante passant toute ma journée "sur la route".
Il y a longtemps, lorsqu'on vivait en campagne, on se levait tôt le matin, on cultivait notre champ et veillait à nos animaux; c'était notre bouffe, on n'avait pas besoin de travailler en plus pour manger. Encore plus avant, quand c'était l'heure du lunch ou quelques heures ou jours avant, on chassait le lièvre, le canard ou le cerf et on cueuillait des baies et champignons que l'on ne sait plus différencier maintenant. On célébrait également notre adresse à ces exploits (maintenant, on regarde les JO à RDI). Est-ce qu'on "gagnait sa vie" à cette époque? Peut-être plus qu'aujourd'hui. Est-ce qu'on subsistait? Peut-être que oui, aussi.

Un jour, on a fucké la donne en rajoutant "prospérité" dans l'échelle des valeurs. De kossé?
Lorsqu'on gagne sa vie maintenant, on passe le plus clair de notre temps à des activités qui ne sont pas - comme on souhaiterait - du pur loisir ou du prélassement, mais bien du labeur ne nous menant pas à notre bouffe mais seulement au guichet automatique, puis ensuite à l'épicerie. Qu'il est loin, le petit lapin...
Puisque l'agriculture nous a théoriquement donné plus de temps depuis que nous ne sommes plus des chasseurs-cueuilleurs, faire carrière répond aussi à un besoin actuel de réalisation de soi. Je ressens ce désir de réalisation, comme plusieurs de notre époque - mes fils ados se réalisent à travers la socialisation, la fête, l'inhalation de substances toxiques et l'expiration de différentes fumées, l'exploration des elixirs de houblon, le visionnement de films et l'exécution exaltée de jeux électroniques et de musique endiablée. À mon âge, c'est un peu différent. J'aime me réaliser par ce que j'accomplis au clair de mes journées et à long terme. Mais je suis loin d'être une missionnaire, j'ai l'impression que la réalisation de moi-même se manifeste par la reconnaissance de mes acquis et je suis donc à la conquête inespérée de la reconnaissance professionnelle. J'ai 20 ans de carrière en arrière de la cravate (beaucoup d'hommes ont fait carrière, c'est pour ça qu'on dit cravate et non chignon) et j'attends qu'on me rétribue et qu'on me gratifie pour mon expérience, que l'effort requis pour "gagner ma vie" soit moins grand qu'auparavant lorsque j'étais jeune et "green" et que j'avais toutes les preuves à faire. C'est fou, dans une société bien faite, j'arrêterais d'y penser et je serais en train de former la relève.
Cela dit, j'ai le loisir d'être exigeante et insatisfaite (car je suis en santé et pas pauvre). Plusieurs de mes collègues le sont également; ayant dépassé un certain âge, à la recherche de la job idéale, du salaire qui va avec, de quelque chose d'intéressant, qui nous ressemble, blabla, le ventre plein. Not good. Not good enough I mean. J'ai encore beaucoup de croûtes à manger, dont finalement apprendre l'art du potager, de la cueuillette et de la pêche et l'art de construire; cela me servira ultimement. Parce que passer mes journées à essayer d'être quelqu'un d'autre juste pour nourrir le guichet automatique, il me semble que ce n'est pas viable.
J'aimerais bien mieux passer mes journées à apprendre, à échanger, à penser, à communiquer, mais cela nourrit-il mon ventre autant que mon coeur et mon esprit? À bien y penser, il faut nourrir plus que cela, il faut nourrir l'ego que l'on a grand, et lorsqu'on réussit à le dissocier des symboles matériels de reconnaissance, on gagne bien mieux sa vie. Leonard Cohen disait récemment dans un documentaire que son maître bouddhiste lui apprit à ne plus être lui-même, ce qui l'a rendu heureux - je pense qu'il voulait dire que lorsqu'il a réussi à sortir de ses paradigmes, il a commencé à grandir. Je crois comprendre qu'il s'est enrichi spirituellement; moi, j'aimerais juste que la simplicité accompagne mes activités quotidiennes, et que je cesse de vouloir conquérir le monde. Bien que gagner sa vie, c'est aussi ne pas la prendre pour acquis, il faut encore la séduire et en mériter une bonne!

Allez hop, still need to work young girl! Supper is not ready yet (Gaétan, un bon vieux Genesis sur Youtube?).
Ainsi soit-il.


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