Tout débute en 1981, lorsque des chercheurs américains et français observent l’émergence d’une étrange pathologie qui semble surtout frapper la communauté homosexuelle. Dans un petit village reculé de l’arrière-pays niçois, loin des préoccupations scientifiques relatives à l’apparition de ce « cancer gay », c’est l’ennui qui commence à faire des victimes parmi les plus jeunes. Il n’est en effet pas rare d’y retrouver des « enfants endormis » dans les rues, le regard comateux, une seringue vide plantée au creux du bras. Parmi ces héroïnomanes qui n’hésitent pas encore un seul instant à partager leurs seringues, Désiré, l’oncle d’Anthony Passeron…
Au fil de chapitres très courts, l’auteur alterne deux récits qui se font brillamment écho. La petite histoire, reconstituant celle de sa propre famille, touche à l’intime, tandis que la grande revient sur le combat de la communauté scientifique à l’échelle mondiale. Deux batailles dévastatrices contre un adversaire féroce dont on ignore encore le nom…
C’est au détour de souvenirs retrouvés dans une boîte à chaussures et quarante ans après les faits qu’Anthony Passeron tente de lever le voile sur la mort de cet oncle que personne n’évoque. Plongeant au cœur de cette famille taiseuse, ayant emmuré cette tragédie dans le silence, l’auteur livre un regard plein de justesse sur une époque où la méconnaissance du virus était inévitablement synonyme d’exclusion, d’isolement et de stigmatisation. Des familles submergées par la honte à la mise à l’écart de la société de ces séropositifs traités comme des pestiférés, en passant par l’angoisse relative à la méconnaissance totale de ce virus, Anthony Passeron montre l’impact de ce fléau à hauteur d’homme… celle de son oncle et de sa propre famille.
En parallèle à cette histoire familiale très intimiste, l’auteur nous plonge également au cœur d’un récit qui tient presque du thriller en relatant la course contre la montre menée par les médecins, les immunologistes, les infectiologues et les virologues des deux côtés de l’Atlantique afin de débusquer ce tueur en série qui fera plus de 36 millions en quarante ans. De la découverte du virus par des médecins français en 1981 au prix Nobel de médecine qui ne récompensera que deux d’entre eux en 2008, en passant par les premiers essais de dépistage, le scandale du sang contaminé, les fausses pistes thérapeutiques et la guerre des brevets, Anthony Passeron ne manque pas de passionner le lecteur en revenant sur cette traque visant à trouver et à éradiquer ce virus impitoyable qui s’attaque à notre système immunitaire.
Un premier roman intime et passionnant qui, à l’instar de « Over the Rainbow » de Constance Joly, revient avec beaucoup de justesse et suffisamment de recul sur les années SIDA.
Les Enfants endormis, Anthony Passeron, Globe, 288 p., 20€
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