L’acte de mémoire a une affinité naturelle avec la pensée ; les cheminements de la pensée émanent tout naturellement, presque automatiquement de la remémoration. La mémoire peut déclencher dans l’âme la nostalgie du passé, mais elle n’ébranle pas l’esprit car elle concerne des choses que l’on ne peut pas modifier.
A l’opposé, le sujet voulant agir, qui regarde vers l’avant et non vers l’arrière se préoccupe de choses qui sont en son pouvoir mais pour lesquelles le succès n’est pas garanti. La tension qui en résulte conduit à une sorte d’instabilité de l’âme qui peut s’approcher de la révolte, un mélange de crainte et d’espoir qui devient insupportable lorsqu’il s’avère que pouvoir et vouloir ne se superpose pas.
Ces deux émotions dépendent étroitement l’une de l’autre en ce qu’elles peuvent brutalement se transformer l’une en l’autre. Chaque espoir amène la crainte et chaque crainte se mue en espoir. Dans la mythologie de l’antiquité ces deux éléments étaient des maux contenus dans la boite de Pandore. La tension entre ces deux émotions devenue insupportable peut se libérer dans l’action, mais ceci au prix de l’abandon de toute activité de l’esprit.
Hannah Arendt.