" Nous sommes un pays de mutilés, d'ensanglantés, un pays d'ombre et de fantômes " p 80
Dans l'Irak d'aujourd'hui, une jeune femme s'est donnée à son fiancé et est tombée enceinte. Malheureusement son fiancé meurt à la guerre, la condamnant également à la mort puisque " L'honneur est plus important que la vie. Chez nous, mieux vaut une fille morte qu'une fille mère." Son frère la tuera donc pour venger l'honneur.
Elle raconte sa dernière journée, secondée par les autres membres de la famille qui eux aussi prennent la parole dans des monologues qui prouvent combien la parole est bridée derrière les apparences lisses. Chacun est complice du meurtre mais présenté comme une victime enfermée dans un système qui détermine leur condition, leur rôle et pèse sur leurs épaules. La mère elle-même avoue avoir recréé pour sa fille une prison : " J'ai justifié mon monde en le reconduisant. " Ils ne parviennent pas à s'abstraire du poids des traditions, même si, peut-être, le plus jeune des frères rayonne comme seule lueur d'espoir " je suis celui qui, peut être, ne sera pas un assassin ". Les femmes aussi, en se révoltant, en racontant, pourront se révolter face à cette société profondément patriarcale, comme le prouvent les mouvements liées à la mort de Mahsa Amini récemment en Iran.
Deux autres fils narratifs s'entremêlent au récit de la jeune femme : celui du fleuve Tigre, témoin des destins tourmentés et de toute l'histoire du pays hantée par les guerres et la violence " J'ai baigné les califes et les princesses aux longs cheveux. Aujourd'hui, Bagdad la tourmentée déverse en moi ses vomissures, sa bille et ses blessés. ", et l'autre fil de l'épopée de Gilgamesh, certains épisodes étant relatés pour insister sur l'universelle fatalité du destin des hommes et mettre en valeur la puissance des mythes et de la littérature quand ils nous interrogent sur les grandes questions de la condition humaine, la vie, la mort, le bonheur, la liberté.
Un roman essentiel, puissant, poétique, de ceux qui rappellent combien la fiction est importante pour donner la parole à ceux et celles que la société s'évertue à bâillonner.