Pas si souvent que nous avons affaire à une écriture qui ne hoquette ni ne ravale. Ni ne s'enflamme. Le poète n'a pas ici à prouver ses dires, il rapporte une couleur, un instant, un rêve éveillé (ou pas), un accent de connaissance, avec toujours une sage tranquillité qui le tient ferme sur la monture de l'expérience. C'est de cette façon, centré dans la page, le déroulé justifié d'un " état poétique ", la transmission d'un mode d'être qui tient de l'accueil inconditionnel, puisque le trouvère ou troubadour ne s'en laisse conter, ayant sa propre parole entre les dents. C'est le constat sans cesse réitéré d'une impossibilité que l'écriture souligne en même temps qu'elle la dément par son geste même.
" [...] Scribes aux galbes
uniformes ou fugitives évanescences surgies des
limbes où les causes par lesquelles les humains
s'imaginent être ensemble sont précisément celles
qui font qu'ils s'ignorent. "
[p.21]
Poésie de l'existant, c'est bien sûr chez l'auteur la fidélité à la glaise dont il est fait, le " bien être " vendu si facilement aujourd'hui ne lui sourit qu'à moitié, il se méfie de qui n'est pas trempé dans l'événement d'une vie : " un homme est la somme de son combat et de ses fêlures. " Ni vers ni prose, quelque chose entre les deux, un aveu de chair qui se donne à lire, sans fioriture, entre la nostalgie, peut-être, ou la douleur de constater qu'" on ne sait plus qui parle encore selon son cœur. "
Intitulé La mort provisoire, l'ouvrage pose un regard sur cette attitude étrange qui consiste à écrire tandis que la fin du Livre semble programmée (elle est déjà là, au moins par la place factice que lui donne la communication spectaculaire). Lire et écrire, " il faut s'habituer à ce que tout cela ne serve désormais plus à rien ". On préfère aujourd'hui miser sur une " tautologie du nombre ", nous dit Patrick Laupin, et l'on devine malheureusement qu'il voit juste.
Fin lecteur de Mallarmé, il n'oublie pas que l'auteur du Coup de dés n'était pas un pur esprit, loin de là, qu'il a su le montrer, le vivre. De même, Patrick Laupin s'est frotté plus que d'autres aux épines des chemins, sa peau sans doute n'est pas exactement lisse, et son verbe non plus, dans l'équilibre impeccable de ses phrases, il n'émet rien de vaporeux, s'attache plus simplement à un parcours de l'être, dans toute son amplitude. Dans un paysage poétique aujourd'hui extrêmement riche et varié, si quelqu'un pouvait en juger, la voix de Patrick Laupin apparaîtrait comme étant majeure, et son nouveau livre viendrait nous le redire.
Je ne vis plus dans ce monde. Je ne suis plus de
ce monde. Les riches ne comprendront jamais les
pauvres. La belle aubaine dix euros pour vivre
par jour. Ne plus pouvoir payer son loyer. Quand
on est pauvre on est pauvre partout. Je me fais
l'effet de ressembler à ces vieilles gens que je voyais
naguère assis seuls sur un banc. C'est mon tour,
mon heure, c'est ma broderie cousue de fil blanc.
Qu'est-ce qui tient qu'est-ce qui subsiste, qu'est-
ce qui résiste ? Plus rien qu'un banc solitaire où
s'asseoir à regarder passer le monde. Se sentir
humain de loin. Ne plus trop savoir où aller.
[p. 144]