François-Xavier Priollaud, maire de Louviers, anime le débat. Yves Jeuland et Alix Maurin (à droite)
Il en va ainsi de la mémoire et des grands hommes « sic transit gloria mundi ». Avec le temps, tout s’en va et en 2022 on oublie les menaces, les attentats, les diffamations (souvent dues à l'extrême droite raciste) et les basses besognes politiciennes (chez les radicaux-socialistes notamment) tous moyens utilisés pour empêcher un homme de paix et de bonne volonté de réussir dans son entreprise de redressement du pays. Heureusement le documentaire d’Yves et Alix existe afin que nul n’oublie qui était ce petit parisien né en 1907, précoce en tout, supérieurement doué, qui décida un beau jour de mettre son intelligence, sa force morale et physique et son courage au service d’une grande cause : la France et les Français.
Après la diffusion du film (visible ce dimanche soir sur France 5 à 22h50), un débat a rassemblé quelques personnalités (dont François Loncle, président de l’Institut Mendès France, Bernard Leroy, président de l'agglomération Seine-Eure, Anne Terlez, vice président du Conseil départemental) qui ont succédé à Pierre Mendès France dans ses différents mandats de député, maire ou président du conseil général. Ses successeurs ne sont pas tous et toutes de gauche, c’est évident, mais la présence de Philippe Brun, député PS, a évité l’inévitable unanimisme qu’une soirée d’hommage comme celle-là peut susciter. Car bien des questions sont toujours l’objet d’intenses débats : l’Europe dont il contestait le caractère technocratique dessaisissant de fait les politiques de leurs responsabilités (2)? Les institutions de la 5e République qu’il condamna ? Les rapports avec le général de Gaulle auquel il resta attaché, avec François Mitterrand qu’il soutint dans toutes ses campagnes présidentielles puisqu’il ne connaissait qu’un camp, celui du progrès contre les conservatismes.
Le film d’Yves Jeuland et Alix Maurin se situe ailleurs. Le fil rouge qui détermine la force (et peut-être la faiblesse) de PMF, c’est sa judéité et son corollaire : l’antisémitisme. Comme Blum, comme Jean Zay (son ami) comme Georges Mandel, Pierre Mendès France a souvent été visé non pas pour ce qu’il faisait mais pour ce qu’il était. Cette identité est constitutive de son regard sur le monde et aussi de ce qu’il appelait lui-même les qualités et les défauts des hommes et des femmes en politique. Même s’il n’était pas juif au sens religieux, Pierre Mendès France se savait, se sentait juif. C’était son patrimoine, c’était le legs d’une famille aimante et bienveillante, une vraie famille française dont bien des fils se sont distingués sur les champs de bataille au cours des 19e et 20e siècle pour défendre l’empire ou la république. Ou défendre le capitaine Dreyfus et Emile Zola.
Aujourd’hui encore, Joan, la belle-fille de PMF, épouse de son second fils Michel, Tristan et Margot ses petits-enfants veillent avec beaucoup de soins sur l’héritage de leur aïeul. La maison des Monts constitue le témoignage concret de l’attachement qu’éprouvait Pierre Mendès France pour la ville de Louviers et plus largement pour cette Normandie qu’il connaissait si bien. « Mais, me confia-t-il en mai 1981, les électeurs avaient le droit de ne pas être d’accord avec moi. » Il éprouva donc un vrai chagrin après sa défaite de 1958 et il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre son refus de revenir à Louviers en 1962 et son choix de tenter une aventure à Evreux où on ne l’attendait pas. De l’orgueil ? Si c’est le cas, cela renforce sa profonde humanité.
Et les citoyens ? Pierre Mendès France avait une haute idée du suffrage universel et bien qu’ayant connu déceptions et déconvenues chez les radicaux et même au PSA-PSU, il a toute sa vie privilégié la délibération collective où chacun peut apporter sa pierre à la vie démocratique, et pourquoi pas dans un parti. En ce sens, il a inspiré les maires de gauche qui lui ont succédé. Ernest Martin, Henri Fromentin, Franck Martin (lors de son premier mandat) ont tous tenté (parfois avec des réussites) d’associer les citoyens aux décisions qui les concernent eux, et donc leur ville, et donc leur région. C’est bien pourquoi, comme l’a souligné Philippe Brun, PMF est demeuré fidèle au scrutin d’arrondissement qui favorise le lien entre le citoyen et l’élu, scrutin cruel quand naissent les vagues indomptables et font de l’électeur(trice) le bourreau d’années de travail.
Que reste-t-il de Pierre Mendès France ? Sa modernité, sa méthode, ses objectifs dont la justice sociale si importante quand l’inflation frappe d’abord les plus pauvres et les épargnants. Un passage du film offre à Jean-Louis Bourlanges l’occasion de souligner les soi-disant échecs de PMF. Il cite ses démissions, ses refus, ses combats perdus et PMF de lui répondre : « On m’a souvent dit que j’avais eu raison trop tôt. C’est mieux que d’avoir tort. »
J’emprunte à Frédéric Potier, membre de l’Institut Mendès France auquel j’ai l’honneur d’appartenir, la conclusion d’un article qu’il vient d’écrire pour la Fondation Jean Jaurès : « Mendès France n’était pas un simple gestionnaire prudent et rigoureux, une version sociale démocrate d’Antoine Pinay, mais bien un authentique socialiste soucieux de transformer profondément le réel ! En réalité, la figure de Pierre Mendès France constitue une synthèse remarquable entre un attachement viscéral à la démocratie et à la République et une modernité économique rompant avec un capitalisme non régulé. Ainsi Simon Nora, le principal conseiller économique de Pierre Mendès France, note qu’être keynésien à la façon de Pierre Mendès France, c’était « une façon polie d’être socialiste ». Un socialisme assurément atypique. »
(1)Il serait bien qu’à Louviers, outre l’analyse détaillée de ses archives — 26 000 lettres — une initiative soit prise pour que l’engagement de Pierre Mendès France soit enseigné aux élèves de notre ville et que son nom ne soit pas seulement celui d’une rue.
(2)Théorie contestée par Claude Cornu. Pourtant, dans les œuvres
complètes de PMF (Gallimard) page 274, on lit lors du débat sur le marché commun : Pierre Mendès France déclare
à l’Assemblée nationale : « L’abdication d’une démocratie peut prendre
deux formes, soit le recours à une dictature interne…soit la délégation des
pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en
réalité la puissance politique car au nom d’une saine économie on en vient aisément
à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale finalement une politique
au sens le plus large du mot, nationale et internationale. » C’est bien le rôle joué par la Commission européenne que les 27 membres de l'UE ont aujourd'hui accepté.