09 octobre 2022
Le procès de la catastrophe de l’AF 447 ouvert le 10 octobre 2022, doit durer 8 semaines. Un procès pénal, en chambre correctionnelle, à Paris. Il ne s’agit plus de l’indemnisation des familles de victimes, dossier qui a été traité, ni de refaire l’enquête technique ou judiciaire, mais de déterminer s’il y a des responsabilités pénales. Et sur le banc des accusés se trouvent Air France, la compagnie aérienne, et Airbus, le constructeur de l’avion. L’équipage décédé est bien sûr hors de la procédure. En revanche, le constructeur des sondes pitot de l’Airbus A330 F-GZCP, Thalès, ainsi que les autorités aéronautiques, soit la DGAC française puis lui ayant succédé l’EASA européenne, qui certifient les appareils, les instruments, les procédures et les formations d’équipages sont absents. Pourtant, nous verrons plus loin que leur rôle constitue une large part du faisceau des causes ayant permis l’accident.
Rapidement résumé, les faits : Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009 l’avion d’Air France avec 216 passagers et 12 membres d’équipage décolle de Rio de Janeiro à destination de Paris Charles de Gaulle pour un vol direct. La météo est « classique », c’est-à-dire avec des orages au niveau de l’équateur, éléments du FIT, le Front Intertropical, appelé en son temps par les anciens le « pot au noir ». Une zone de turbulences, de givrage, ou les nuages d’orage peuvent monter très haut, plus haut même que les routes suivies par les avions de ligne, soit vers 12.000 mètres ou 35/38.000 pieds. Si cette météo est jugée de type classique, parfois les perturbations sont plus violentes qu’à l’ordinaire, voire extrêmement violentes, ce qui conduit certains équipages, aidés des prévisions, des observations complémentaires transmises en vol, et de leurs radars de bord à se dérouter plus ou moins pour éviter de pénétrer dans ces zones inconfortables voire carrément dangereuses. Il faut noter qu’aucun avion moderne n’a jamais été détruit par ces nuages, en revanche leurs effets ont parfois provoqué des pertes de contrôle à l’origine de catastrophes.
A bord trois pilotes : un « commandant de bord » expérimenté affichant plus de 10.000 heures de vol, un premier « officier pilote » plus jeune mais également expérimenté avec 6.000 heures de vol à son actif, et enfin un plus jeune second copilote, avec 3.000 heures de vol, qui n’a pas encore terminé son cursus de pilote de ligne, mais possède les qualifications ad-hoc pour exercer sa fonction. Tous ont suivi une formation de base comparable, puis des étapes de qualification assez comparables au fil de leur progression professionnelle.
De fait, cet équipage est qualifié pour effectuer ce vol, autant par ses brevets et licences d’Etat, délivrés par les autorités, que par son cursus interne au sein de la compagnie. Pourtant, un simple petit incident, de très courte durée, au total 1 minute environ, va conduire cet avion à sa perte en moins de quatre minutes !
Un peu plus de 3 heures 30 après le décollage, vers 2h du matin, heure internationale, le commandant de bord décide d’aller se reposer et confie sa place (gauche) au premier copilote, mais laisse les commandes au copilote en place droite, le plus jeune, qui est PF, Pilote en Fonction. L’autre, en place gauche devenant à son tour PM soit Pilote Monitoring, il est PNF, pilote non en fonction. Pourquoi ce choix ? Cette hiérarchie ? Pourquoi ne pas préciser alors le rôle de chacun en cas d’évènement imprévu ? On l’ignore. La zone orageuse approche. Le Commandant de bord fait confiance à ses officiers pilotes.
Sur le radar de bord, ils ne captent pas bien la situation. L’ont-ils bien réglé pour voir et mesurer l’intensité des orages ? On ne sait pas. D’autres avions qui sur la même route sont devant ou derrière eux ont choisi de s’éloigner, et par là de se rallonger. Ils fuient l’inconfort de la turbulence. Et ses dangers. Nos deux pilotes du vol AF 447 finissent à 2h08 par choisir de s’écarter un peu… De 12 degrés. Mais ils sont déjà dans la perturbation, et ce changement de cap tardif est de peu d’effet. La turbulence augmente.
Juste après, à 2h et 10 min 05 secondes (en heure internationale, en usage dans le transport aérien), le pilote automatique (PA) qui maintient l’avion stable à son cap et à son altitude de 35.000 pieds (FL 350) se déclenche ainsi que l’auto-manette (A/THR), le régulateur automatique de la poussée des réacteurs, qui ajuste par là, la vitesse programmée par l’équipage. L’évènement est dû à un phénomène météorologique de givrage des sondes « pitot » qui rend un temps caduques les informations de vitesse de vol de l’avion (IAS), entrainant également dans le cockpit l’affichage de vitesses non cohérentes. Ils ne l’ont pas clairement compris. Juste vu que les vitesses sont devenues « douteuses ».
A cette altitude élevée, niveau FL 350, l’avion posé sur une tête d’épingle, la marge utilisable de vitesse est réduite. Entre la survitesse Mach Maximum MMO, qui n’est pas recommandée, et la sous-vitesse ou vitesse de décrochage, véritable danger, il y a peu. Piloté à la main, la tache est ardue. Elle demande une forte concentration et n’empêche pas des écarts peu souhaitables. Donc l’usage et la règle imposent d’utiliser le pilote automatique (PA). Idem pour l’auto-manette, A/THR, car l’atmosphère étant pas nature instable, il faut souvent réadapter et ajuster la poussée pour conserver la vitesse choisie. L’A/THR fait cela très bien. Mais, l’avion demeure toujours pilotable à la main. Juste, c’est astreignant. Si le PA et l’A/THR se déclenchent, sans urgence, il faut que l’un des pilotes reprenne les choses en main. Et cela doit faire l’objet d’une décision du Pilote en Fonction, (PF), ou du commandant de bord si ce n’est pas lui.
Voici les éléments posés à 2h10 min 05 lorsque l’évènement se produit. Et à ce moment, immédiatement le copilote en fonction en place droite, le PF, le plus jeune, annonce « j’ai les commandes » et commence à cabrer l’avion, agissant de manière parfaitement exagérée et incohérente sur le manche. Son collègue laisse faire, n’intervient que peu et brièvement, et n’arrête pas ce mouvement fou, qui fait monter l’avion jusqu’à 38.000 pieds, descendant sous sa vitesse de décrochage qu’il ne quittera pour ainsi dire plus jusqu’à son écrasement moins de 4 minutes plus trad. (75 fois l’alarme de décrochage retentit ! Mais ils ne la prennent pas en compte, ou ne l’entendent pas dans leur stress). Progressivement, le plan arrière de l’avion est positionné à cabrer durablement (13°). L’incidence de l’avion, autre paramètre de mesure de l’attitude de l’avion grimpe à 40°, une folie, puis redescend à 36° qu’elle ne quittera plus jamais. L’avion dès ce moment est condamné. 2h14min 28 secondes. C’est fini. Est-ce l’affichage devant le copilote qui l’a conduit à cette action ? Est-ce une erreur d’analyse ? Il n’y a pas de cameras dans les cockpits. Hélas, car cela aurait éclairé les enquêteurs.
Des données sont transmises à Air France à Roissy par le système ACARS. Mais destinées à la maintenance, elles ne seront découvertes qu’à l’ouverture des bureaux ! L’avion ne répond plus à aucun message radio. Il avait déjà des difficultés de communications ce qui est chose courante au milieu des océans. Un imprescriptible imbroglio de centres de contrôle fera que l’alerte ne sera donnée qu’après 8 h du matin. 10 h, heure de Paris, tandis que les familles attendent à l’aéroport. Tous les moyens mis en œuvre ensuite ne permettront de découvrir quelques débris que le 6 juin, plusieurs jours plus tard. Il n’y a pas eu de survivant tant le choc a été violent. L’avion est descendu, le nez haut, car cabré par son pilote, à plus de 11.000 pieds par minute. Une vitesse de l’ordre de 180 km/h ! Quel choc. Pas d’incendie. Presque tout l’appareil a coulé hors le grand plan arrière de gouverne de direction.
Les recherches qui sont déclenchées seront très longues et vont coûter très cher, financées par Air France et Airbus, et après plusieurs déceptions, au bout de presque deux ans, juste à la verticale du dernier point connu de disparition, l’épave sera localisée. Les enregistreurs de vol retrouvés. Les dépouilles des victimes récupérées, tant que possible, pour les rendre à leurs familles et leur donner une décente sépulture. Les débris de l’avion remontés.
Le BEA aura fait 4 rapports, dont trois intermédiaires. D’abord par l’analyse des premiers éléments d’épaves retrouvés et les messages ACARS reçus, qui indiquaient de riches données sur l’enchainement possible des évènements subis par l’avion, et son dernier point de transmission, qui s’avèrera son exact lieu de chute. Contre toute attente. Jusqu’au rapport final qui analyse les éléments enregistrés à bord.
Des études météorologiques et océanographiques seront faites. Le silence des balises de détresse immergées entrainera une évolution de la réglementation (sur de nombreuses années). Durée plus longue de stockage des enregistreurs de vol, voix et données, (DCVR et DFDR). Possibilité de transmettre plus de données en vol directement (ACARS). Possibilité d’éjecter les enregistreurs en vol en cas de crash en mer, avec parachutes pour les retrouver vite. Prolongement des durées d’émissions à 90 jours et évolution des fréquences des ULB ces petites balises qui accompagnent les enregistreurs de vol et utilisent des fréquences qui ne portent pas loin et ne sont pas reçues par les sous-marins (le SNA l’Emeraude a fait de longues recherches inutiles). L’histoire semble montrer qu’elles ont été détruites par le choc de l’accident….
Mais revenons au cœur de l’accident. La cause identifiée est rapidement déterminée, comme pressenti depuis les premiers messages ACARS : le givrage simultané des 3 sondes pitot** qui alimentent les instruments et calculateurs de l’avion. Les pertes d’informations de vitesse (IAS) n’ont duré que quelques dizaines de secondes. Du reste c’est pourquoi les 41 évènements précédents du même genre, sur ces modèles d’avions A330/340) n’ont pas eu de conséquences graves. Mais, comme cela entraîne la désactivation des automatismes de l’avion, et de ses protections du domaine de vol, il n’est pas normal que la question n’ait pas été tranchée. Plusieurs compagnies ont rencontré le problème avec des Airbus A330 et A340 (et d’autres modèles moins modernes). Toutes ne les ont pas déclarés ! Vraiment dommage et contraire aux règles de retour d’expérience. 13 cas ont été analysées par le BEA*, Airbus, Thales, l’EASA, l’agence européenne de sécurité qui a succédé en Europe à la DGAC. Tous ont jugé la chose grave. Mais la valse des sondes pitot, Rosemount, Goodrich (2 modèles) Thales (2 modèles) n’a jamais réussi à mettre les interlocuteurs d’accord. De 1992 à 2003, on ne répertorie pas d’incidents. De 2003 à 2009 il y en aura 42, au moins. L’autorité de certification ne veut pas trancher, le constructeur propose de remplacer les modèles, vers Goodrich, puis Thales AA, enfin AB. Mais Air France qui a rencontré le plus d’incidents attend des solutions. Et apparemment il n’y en a pas. Les tests de Thales ne sont pas signifiants. Pas plus qu’Airbus. Un domaine semble inconnu, le givrage par cristaux de glace à très haute altitude est une inconnue. Finalement Air France décide de remplacer toutes ses sondes. Elle passe commande quelques jours avant la catastrophe de l’AF447. Trop tard. Et qui sait si cela aurait changé quelque chose ?
Il en ressort pour résumer :
Que la succession d’incidents aurait dû déboucher sur une solution acceptable, sur des alertes claires pour les équipages, sur la remise en mémoire des procédures de base lors de décrochages, et d’une manière générale sur une meilleure communication sur ces évènements pour lesquels la « surprise » est un facteur aggravant. Dommage que les programmes de certification des sondes, des avions concernés, ainsi que les programmes de formations des équipages et de rafraichissement des connaissances n’aient pas été traités avec plus de gravité par les autorités dont on sait qu’elles exigent de tout valider, mais ne semblent finalement responsables de rien ! Puisqu’absentes à ce procès.
Cela n’excuse pas les réactions inappropriées de l’équipage du vol AF447. Si l’un des pilotes n’avait pas dramatiquement cabré l’avion, il n’y aurait pas eu de catastrophe. Cela remet en cause certains mécanismes comme l’alarme décrochage, qui cesse en dessous d’une très basse vitesse, 60 Kts, pour reprendre au dessus, ce qui peut introduire une confusion, même si, en aucune manière un avion ne doit se retrouver dans une telle situation. Un dispositif basé sur « l’incidence de vol », le Back Up Speed Scale, ou BUSS alimenté par d’autres sondes, était proposé depuis plusieurs années par Airbus à ses clients. Mais les « civils » n ‘ont pas pour habitude d’utiliser l’incidence comme source d’information, l’avion n’en était pas équipé.
Cette catastrophe interroge également sur la formation de base des pilotes. Dossier qui a été traité depuis dans les écoles. Comme prioritaire, alors que c’était un item parmi d’autres jusque là. On peut ajouter que la composition de l’équipage et la distribution des rôles n’a pas été performante. Sur ce point Air France a revu ses procédures. Et du reste l’ensemble de la profession l’a fait. Car hors l’AF 447, plusieurs avions ont été accidentés dans des conditions similaires, de marques et modèle bien différents,*** avec des équipages d’origines bien différentes également. Les règles de base, le contrôle du stress, la capacité à travailler en équipage demeurent essentiels pour la sécurité du transport aérien. Même si le modernisme apporte sans cesse sa part de sécurité. L’homme reste au cœur de cette sécurité.
Aussi, je ne vois pas ce que des juges pourraient reprocher à une ou deux sociétés, alors que c’est tout un système qui avait besoin de progresser, ce qui est réellement en cours.
Michel Polacco pour AeroMorning
*BEA : bea-aero.fr. Voir Les trois rapports d’étape et le rapport final du 5 juillet 2012.
** Pitot Sonde de pression totale, qui combinée à la pression atmosphérique, dite statique permet de déduire la vitesse « air » de l’avion.
*** DC9 Swiftair au Mali en 2014, B737 Ethiopian au Liban en Janvier 2010, (voir rubrique pertes de contrôle, Aviation Safety Data Base : https://aviation-safety.net/database/