Je suis liée au Mexique et je connais plutôt bien l'univers de cette artiste dont j'ai visité chacune des maisons qu'elle a habitées (à Guanajuato, à Mexico que ce soit la si fameuse Casa Azul de Coyocan que celle de San Angel).
J'avais très envie de revoir, dans une scénographie différente et avec une autre mise en lumières, les prodigieuses tenues que j'avais admirées dans la Casa Azul il y a 5 ans, sans doute trop furtivement tant il y a de choses à voir dans la Casa Azul.
Et puis, parce qu'il y a toujours intérêt à approfondir ses connaissances, j'étais intéressée à la perspective de mieux comprendre l'univers de Frida, ce que promet le sous-titre, "au-delà des apparences". En tout cas ce qu'il faut savoir c'est que Frida ne s'est pas fabriqué un personnage. Elle était cette femme, tous les jours de l'année, vêtue de cette manière si particulière pour nous européens, mais relativement "ordinaire" pour qui va régulièrement au Mexique, encore aujourd'hui. Même si Frida avait l'art de porter ses tenues.
Les salles, toutes différentes, ont été traitées comme autant de facettes de sa personnalité, de sa tragédie évidemment, et de son caractère iconique autant que son style, lequel est indissociable de sa vie, de sa personnalité, de sa maladie et de son œuvre.
Certains visiteurs étaient choqués par l'exposition de sa pharmacopée et de ses prothèses. Il faut savoir que l'artistes sans doute celle qui a le mieux réussi à sublimer son handicap, en en faisant une force. Sa vie a été organisé en fonction de ses contraintes. Ses tenues peuvent sembler a priori "folkloriques" mais sa manière de s'habiller est un double manifeste, celui de la résilience au handicap et un acte politique en affirmant sa mexicanité.
La scénographie, conçue par Sandra Courtine, joue sur une variation de noirs et blancs, plus ou moins chauds. Par ce choix colorimétrique sobre, nous souhaitions faire ressortir les œuvres exposées, en évitant que les murs et les voûtes des galeries du rez-de-jardin, naturellement colorés par la brique, viennent perturber leur lisibilité.
Afin de guider le public dans l’exposition, Paris Musées a développé un parcours de visite numérique qui vient compléter et enrichir l’application du Palais Galliera, elle-même disponible gratuitement, sur Android et iOS en français, anglais et espagnol. La publication ci-dessous vous permettra de préparer votre visite. elle suit l'ordre chronologique de l'exposition, organisé en 6 sections, enrichies d'une exposition capsule (qui se terminera le 31 décembre).
L'exposition est exceptionnelle. Suivez le lien pour la découvrir :
Section 1 : "Aqui naci yo (Moi je suis née ici"Magdalena Carmen Frida Kahlo y Calderón est née le 6 juillet 1907 à Coyoacán. Sa mère, Matilde Calderón y González, est métisse d’origine espagnole et indigène de la région d’Oaxaca. Elle transmet à Frida son goût pour les vêtements traditionnels dès son plus jeune âge.Son père, Wilhelm (Guillermo) Kahlo, émigré allemand, est arrivé au Mexique en 1890. Devenu un photographe majeur du gouvernement, il capture le patrimoine architectural du Mexique et son cheminement vers la modernité. Il met aussi en lumière Frida dans de nombreux portraits qui témoignent de son affection pour sa fille.
Ainsi, la photographie peut être considérée comme le premier médium d’expression artistique de Frida Kahlo qui apprend, très jeune, auprès de son père, à prendre la pose. Frida Kahlo a ensuite posé pour de nombreux photographes de premier plan, avec lesquels elle a su composer pour exprimer son identité, bien avant de devenir peintre.
Plusieurs événements ont marqué durablement sa vie. À l’âge de six ans, elle contracte la poliomyélite. Pour faire face à cette maladie qui la contraint à l’isolement, elle s’invente une amie imaginaire. De cette expérience formatrice va naître son double en peinture, un motif récurrent dans son œuvre que les historiens de l’art associent le plus souvent à l’une de ses peintures les plus importantes, Les deux Frida (1939).
L’autre traumatisme encore plus grave a lieu le 17 septembre 1925 quand à dix-huit ans elle est victime d’un grave accident de tramway qui l’oblige à garder le lit pendant des mois, et à abandonner ses études de médecine. C’est alors qu’elle commence à peindre. Un film en noir est blanc nous permet d'avoir une représentation de ce qu'est Mexico qui à l'époque était une ville en reconstruction, avec le Paseo de Reforma, la statue de l'Indépendance et sa fontaine aux lions. Il est troublant d'apprendre qu'une pluie de feuilles d'or a été projetée sur el corps de la jeune fille au moment de son accident, lui laissant un souvenir quasi surnaturel.
Section 2 : La Casa AzulOn poursuit avec une évocation de cet endroit, où elle est née et où elle a vécu la majeure partie de sa vie et y est morte en 1954. Ses parents, qui avaient construit la maison en 1904, l’avaient décorée dans le style européen, en vogue à l’époque. Frida Kahlo et Diego Rivera la rénovent dans les années 1930. Ils repeignent les murs gris en un bleu éclatant, et remplissent leur maison d’objets reflétant leur attachement à tout ce qui était mexicain : l’art populaire, les sculptures préhispaniques et les peintures votives, dont ils ont des centaines, et dont voici quelques exemples :
Huile sur métal. Dans la tradition chrétienne, ces personnages portent des cadeaux à l'Enfant Jésus dans la crèche. ils sont représentés ici flottant sur des nuages, veillant sur une mère et son fils malade, couché dans son lit sous une couverture rouge.
Huile sur métal. Frida Kahlo a tout particulièrement recherché des oeuvres picturales représentant des accidents de la route. Elle a même modifié une peinture votive existante afin qu'elle soit le reflet de sa propre expérience. Sur celle-ci, un homme est blessé aux jambes par une voiture.
Frida Kahlo représente ici un guerrier préhistorique jouant à la pelote, inspiré par une figurine issue de la collection Kahlo-Rivera. Trouvée dans des fouilles archéologiques à Colima, cette statue en céramique semble isolée dans un paysage dépeuplé. Lorsque le tableau fut présenté à la première exposition personnelle de Frida Kahlo à la Julien Levy Gallery de New-York, en novembre 1938, la critique du New Yorker suggéra qu’il dépeignait "la survie du Mexique dans un monde fragile". La peinture est présentée dans son cadre d’origine en étain de Oaxaca.
Au début des années 1920, le ministre mexicain de l’Education, José Vasconcelos, recrute les plus grands artistes du pays, dont Diego Rivera, pour créer une nouvelle forme d’art public. Ainsi débute le mouvement muraliste mexicain. La première commande de Diego Rivera est pour la Escuela Nacional Preparatoria (l’école préparatoire nationale), où Frida Kahlo est alors étudiante. Brillante et véhémente, elle fait partie du groupe politique Los Cachuchas, du nom des casquettes à visière que portaient ses membres.
Les études de Frida Kahlo s’arrêtent brutalement avec son accident. Elle rejoint le Parti Communiste en 1928, encouragée par la photographe et militante Tina Modotti. Cette même année, celle-ci la présente à Diego Rivera. Art et Politique seront liés dans l'oeuvre de Frida qui affirmait : Je suis un être communiste.
Jusqu’à sa mort, Frida Kahlo sera une militante et une fervente communiste. Son désir de consacrer son art au service de la cause politique, à l’instar de Diego Rivera et des muralistes mexicains, est consigné dans son journal vers la fin de sa vie. Ici, l’artiste, habillée en Tehuana, est assise devant son chevalet, sur lequel est exposé un portrait de Joseph Staline. Bien que Frida Kahlo ait accueilli Léon Trotski chez elle à la fin des années 1930, elle a ensuite affirmé sa loyauté envers Staline. Ce n’est qu’après la mort de Frida Kahlo que les purges staliniennes furent largement connues.
La Casa Azul devient alors un centre culturel, attirant des personnalités venues du Mexique et d’ailleurs, parmi lesquelles Léon Trotski et André Breton, arrivés dans le pays à la fin des années 1930. Souvent confinée chez elle en raison de son état de santé, Frida Kahlo a transformé sa maison en un microcosme du Mexique. Des statues archéologiques décoraient le jardin luxuriant. Des chiens nus Xoloitzcuintli, des perroquets, des canards, des singes et un cerf se promenaient au milieu des citronniers et des fleurs multicolores. La Casa Azul est l’une des expressions essentielles de la dévotion de Frida à la mexicanidad (mexicanité), et de son brillant pouvoir créatif.
André Breton, rencontré plus tôt cette année-là au Mexique, écrit un essai pour l’exposition, dans lequel il compare le travail de Frida Kahlo à "un ruban autour d’une bombe".
Section 4 : ParisAprès ses débuts à New York, Frida Kahlo est invitée par André Breton à exposer son travail à Paris. Cependant, rien n’est prêt pour son exposition lorsqu’elle arrive, en janvier 1939. Finalement, la Galerie Renou et Colle organise une exposition collective intitulée Mexique, où sont présentées dix-huit de ses œuvres qui nous sont données à voir en video. En voici quelques-uns, parmi lesquels il faudrait ajouter Le Suicide de Dorothy Hale dont il vient d'être question :
Frida Kahlo est accueillie chaleureusement par de nombreux artistes de renom présents au vernissage : " ... bien des félicitations pour la chica, dont une énorme embrassade de Joan Miró et de grands compliments pour mon œuvre de la part de Kandinsky, des félicitations de Picasso, Tanguy, Paalen, et d’autres “pointures” du Surréalisme ", écrit-elle.
Frida aimera également passer du temps avec Dora Maar, Jacqueline Lamba et Alice Rahon, explorer Paris, ses marchés aux puces et sa mode. Dans la boutique d’Elsa Schiaparelli, elle apprécie les créations surréalistes de Salvador Dalí et Leonor Fini.
En fin de compte Frida n'au fait de son vivant que deux expositions personnelles, celle de New-York, et une autre à Mexico un an avant de mourir.
Section 5 : Handicap et créativitéL’accident qui faillit coûter la vie à Frida Kahlo, à l’âge de 18 ans, met brutalement un terme à son rêve de devenir médecin. Pendant sa convalescence, la jeune femme alitée commence à peindre à l’aide d’un chevalet pliant et d’un miroir, encastrés dans le baldaquin de son lit. L’autoportrait devient un aspect essentiel de son art. Frida Kahlo subit des dizaines d’opérations, dans l’espoir de soulager ses graves problèmes de santé et ses douleurs qui irradient sa jambe droite, sa colonne vertébrale et son appareil génital. Elle est parfois contrainte de porter des corsets et d’autres appareils médicaux, qu’elle décore et transforme en œuvres d’art.
Ses corsets étaient faits de bandes trempées dans du plâtre, enroulées autour de son torse et resserrées au fur et à mesure qu'elles séchaient, parfois pendant plus de deux heures. Une fois le plâtre durci les corsets devaient être découpés avec des pinces chirurgicales pour la libérer. Elle en a conservé la partie avant comme des oeuvres d'art.
Sont aussi exposées de magnifiques bottes de cuir rouge, soie brodée et métal, lacées très haut sur la jambe. Parfois la chaussure droite est découpée pour s'adapter aux orteils gangrénés. Très rarement on l'aperçut "au naturel" comme sur cette photo d'Antonio Kahlo (1932-1974), prise en 1946 à la Casa Azul. Les mots qu'elle trace font allusion à ses douleurs.
Section 6 : Œuvres et tenuesLes puissants autoportraits de Frida Kahlo, les photographies pour lesquelles elle a posé et ses tenues vestimentaires, composées avec soin, sont autant de modes complémentaires d’autocréation artistique. Adolescente, Frida s’habillait de façon non-conventionnelle pour exprimer sa personnalité et cacher sa jambe abîmée par la poliomyélite. Vers 20 ans, elle adopte les tenues traditionnelles mexicaines qu’elle portera toute sa vie.Bien qu’elle ait créé un style hybride unique, mêlant des éléments de régions et d’époques diverses, elle s’est particulièrement identifiée aux femmes et à sa culture matriarcale de Tehuantepec. Elle a adopté leurs blouses brodées, leurs jupes longues, leurs coiffures élaborées et leurs rebozos [châles tissés] dans une fascinante interprétation personnelle de la mexicanidad [mexicanité].Par le choix de vêtements et d’accessoires, adaptés à ses besoins médicaux et à ses particularités physiques, elle est devenue actrice de la construction d’une apparence originale et audacieuse. Comme en témoignent les reprises, les brûlures de cigarettes ou les taches et les marques de peinture présentes sur de nombreux vêtements, ses tenues faisaient partie intégrante de sa vie, de son art et de son identité.
Section 7 : Frida Kahlo : un look contemporainExposition-capsule présentée du 15 septembre au 31 décembre 2022 Rez-de-chaussée, Salon d’honneur
Unique, transgressive et inoubliable, Frida Kahlo est devenue une icône culturelle de renommée mondiale. Son influence, en tant que muse dans l’histoire de la mode, a été continuellement réévaluée par les créateurs contemporains qui ont utilisé les différents symboles identitaires de Frida Kahlo comme source d’inspiration, formant ainsi un répertoire visuel qui aborde des thèmes tels que le traumatisme, le handicap, l’ethnicité, l’identité sexuelle et la politique. Les accessoires, les parures et les extensions du corps ont été utilisés comme métaphores pour dissimuler, révéler et interpréter ses multiples identités et son style hybride.