Critique des Enfants, de Lucy Kirkwood, vu le 23 septembre 2022 au Théâtre de l’Atelier
Avec Dominique Valadié, Cécile Brune et Frédéric Pierrot, mis en scène par Éric Vigner
C’était l’un des spectacles que j’attendais avec le plus d’impatience. Trois comédiens que j’admire particulièrement, dans des styles assez différents, réunis sur la scène du théâtre de l’Atelier. J’avais confiance en Eric Vigner, dont je sais le travail de qualité. Il n’y avait que ce texte anglais que je ne connaissais pas. C’est toujours un peu ma crainte, le texte, au théâtre. Et j’ai du mal à savoir si celui-ci m’a vraiment convaincue.
Des ingénieurs nucléaires à la retraite c’est pas tous les jours qu’on en voit sur les scènes de théâtre. C’est pourtant chez eux qu’on atterrit au début du spectacle : Hazel et Robin, aujourd’hui retraités. Une ancienne collègue vient de débarquer chez eux à l’improviste ; ils avaient participé ensemble à la construction de la centrale qui alimente le village où se situe la pièce. Elle vient leur parler de la catastrophe qui a eu lieu récemment, elle vient avec ses souvenirs et ses rancoeurs, elle mettre le vieux couple face à une réalité qui dérange.
C’est un spectacle étrange. Un spectacle qui oscille sans cesse entre plusieurs sujets, plusieurs atmosphères, sans jamais se positionner clairement. Il y a la question politique, le monde laissé par la génération de nos parents, leurs erreurs, leurs échecs, leur manque d’action, il y a la sobriété nécessaire dans le monde d’après, il y a l’écologie, le handicap, la charge mentale, le couple, l’adultère, le mensonge. C’est une girouette qui tourne selon le sens du vent mais ne se fixe jamais. Pour le spectateur, c’est assez déroutant. On ne sait jamais où on va, si les paroles échangées sont de l’ordre de l’anecdotique ou du fondamental. C’est un texte intriguant, qui a ses moments et ses faiblesses, et qui me laisse un peu perplexe au sortir du théâtre.
© Pascal GelyCe que je reprocherai au spectacle, c’est peut-être d’avoir voulu faire trop. Trop de sujets à adresser, trop de pénombre, trop de lenteur, trop d’inconnu. Trop de combats à mener. C’est faire trop confiance au spectateur aussi, quelque part. Pour un texte autant sur le fil, une petite compensation scénique ou rythmique aurait pu être bienvenue, pour relever le tout, comme une épice en cuisine. C’est ce qui se profilait dans mon esprit dans les quelques moments où l’ennui me guettait durant la pièce. J’aurais eu besoin d’être davantage prise par la main.
Mais je ne peux pas dire non plus que j’ai passé un mauvais moment. Les échanges entre les personnages sont une recherche constante d’indices pour mieux comprendre la situation. On reste donc alerte malgré tout, même lors des moments de flottement. Le mélange des intrigues fonctionne, rebat les cartes, fait avancer le propos. Il y a quelque chose de britannique dans ce mélange d’atmosphères, dans cet humour pince-sans-rire qui surgit sans prévenir dans les dialogues. Quelque chose d’inhabituel et d’intéressant pour le spectateur. C’est un spectacle osé, sur un thème assez rare, et c’est chouette de voir ça aussi, au théâtre.
Et puis, cette distribution. Cécile Brune porte le spectacle avec une belle maestria. C’est elle qui amène la vie sur le plateau, c’est elle aussi qui la fait disparaître lorsque le temps vient de laisser la place. Elle est lumineuse et profonde à la fois, merveilleuse dans le cynisme comme dans l’émotion. Frédéric Pierrot, qui joue son compagnon, convainc aussi totalement avec une partition peut-être moins développée. Dominique Valadié, qui incarne l’élément perturbateur, cherche encore un peu sa place dans les dialogues, mais la trouve totalement dans le sous-texte. Sa présence hostile et pesante et sa voix hiératique amènent une vraie densité au personnage, qui parfois fait froid dans le dos.
Un spectacle intriguant. Peut-être trop.