Critique de Dans la mesure de l’impossible, de Tiago Rodrigues, vu le 22 septembre au Théâtre de l’Odéon
Avec Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov, accompagnés par Gabriel Ferrandini, mis en scène par Tiago Rodrigues
Tiago Rodrigues, c’est un rendez-vous que j’attends toujours avec impatience. J’avais préféré manquer celui de La Cerisaie en voyant les premiers retours, et j’en suis ravie : cela a évité de tâcher le nom de ce metteur en scène portugais que j’adore. Dans cette Mesure de l’impossible, il met en scène les témoignages de travailleurs de l’humanitaire, pour essayer de comprendre leur quotidien, leur expérience sur le terrain, de pouvoir peindre les différentes facettes de ce métier quand c’est toujours sous le prisme du don de soi qu’il est perçu.
Il faut dire quelque chose avant tout, parce que sinon je risque de l’oublier, c’est que c’est un grand spectacle. Mais ce n’est pas un spectacle qui appelle les superlatifs : c’est un très beau spectacle, un spectacle proche d’une certaine forme de perfection, c’est un spectacle essentiel, mais c’est aussi un spectacle que j’ai l’impression de dénaturer un peu en lui rendant cet hommage. C’est presque un peu déplacé. Alors je vais faire en sorte que ma ferveur s’arrête là.
Ce n’est pas très dur, car ce n’est pas un spectacle qui rend enthousiaste. Il nous plonge dans un état étrange, comme une sorte de méditation. Il nous plonge un peu dans l’état dans lequel doivent être les travailleurs de l’humanitaire qui sont face à nous. Ils nous racontent des choses dures, des choses impossible à concevoir, mais à aucun moment ils ne déchargent sur nous leur fardeau. Le poids des mots reste sur scène, et on ne plie pas sous la lourdeur de ce qui nous est conté. Depuis le plateau, ils nous protègent des horreurs qu’ils voient et qu’ils racontent. Ils font écran. J’ai encore du mal à comprendre par quel mystère Tiago Rodrigues réussit ce tour de passe-passe de toucher sans provoquer d’effondrement intérieur.
En fait, il a recourt a ce qui lui a toujours le plus réussi : la simplicité. L’une des trouvailles les plus géniales de ce spectacle, qui lui permet d’être ce qu’il est, c’est de représenter la complexité dans son plus simple appareil. Tiago Rodrigues a su composer une très belle harmonie scénique : un quatuor de comédiens puissant, une scénographie magnifiquement épurée, et une musique qui vient seconder la langue lorsque celle-ci manque de mots. Pas de grand décor, de vidéo, de trucs en tout genre pour accompagner les témoignages. Juste le génie de la nuance entre le possible, le monde des spectateurs, et l’impossible, les zones de conflit évoquées.
Cela devient une évidence, dans le spectacle, une langue commune, un lieu où tout le monde peut se retrouver et s’inventer à la fois, et c’est là l’essence de ce spectacle. Construite autour de ce possible et de cet impossible propres à chacun et liens de tous, la forme théâtrale fonctionne parfaitement. C’est un théâtre documenté, à la fois sérieux et narratif, qui utilise la puissance de l’objet dramatique pour arriver à ses fins, et permettre au spectateur de comprendre le regard des travailleurs humanitaires sur le monde. Sans attendrissement. Sans chichi. Avec simplement une grande humanité.
Comme un coup de poing dans du chamallow.