Que le caniche, au lieu de faire le beau, se mette enfin à mordre ! (Witold Gombrowicz)

Par Jmlire

Witold Gombrowicz

Lundi.

Je ne suis pas un rustre. Je ne cherche pas la bagarre dans la rue. Je ne braille pas non plus dans un élan de démagogie, je ne cherche pas à faire peur, je n'exagère pas - non, je n'exagère pas - j'ai toujours cherché la force dans la modération.

Je ne perds pas de vue que la science ( bien qu'inhumaine ) est notre espoir, que ( bien que déformante ) elle nous délivre de milliers d'autres déformations et que, toute cruelle qu'elle est, elle est une mère protectrice. Que cette malédiction est aussi une bénédiction pour nous.

J'incite l'art à donner un coup de pied - pan! - non pour que le savant sente qu'il l'a reçu mais pour que l'artiste sente qu'il l'a donné. Je ne cherche pas à enfoncer la science mais je veux restituer à l'art sa propre vie, avec sa spécificité. Que le caniche, au lieu de faire le beau, se mette enfin à mordre ! Quand j'écoute un concert "moderne", quand je visite une exposition, quand je lis un livre d'aujourd'hui, je suis pris de faiblesse, j'ai l'impression d'avoir affaire à une capitulation et à une mystification. On ne sait plus qui parle : un poète, ou un "homme éduqué, cultivé, averti et informé" ? Le créateur, qui récemment encore parlait d'une voix divine, crée aujourd'hui comme s'il fabriquait. Il crée comme un élève. Comme un spécialiste. Comme quelqu'un qu'on a instruit. Assez de ce scandale ! ...

Mardi.

Un coup dans le ventre ! Et pan dans les gencives !

Mercredi.

Un coup sur la gueu...

Jeudi.

Pan ! Et allons-y gaiement !

Vendredi

Du calme. Fi de cette théorique de blousons noirs !

Et pourtant, quelle autre solution pour vous, artistes ?...

Dimanche

(...) La science est libre de courir après l'utilité. Mais que l'art soit le gardien de la forme humaine !...

Witold Gombrowicz : extrait de " Journal, Tome II, 1959-1969, Éditions Gallimard, 1995.