Je ne suis pas un rustre. Je ne cherche pas la bagarre dans la rue. Je ne braille pas non plus dans un élan de démagogie, je ne cherche pas à faire peur, je n'exagère pas - non, je n'exagère pas - j'ai toujours cherché la force dans la modération.
Je ne perds pas de vue que la science ( bien qu'inhumaine ) est notre espoir, que ( bien que déformante ) elle nous délivre de milliers d'autres déformations et que, toute cruelle qu'elle est, elle est une mère protectrice. Que cette malédiction est aussi une bénédiction pour nous.
J'incite l'art à donner un coup de pied - pan! - non pour que le savant sente qu'il l'a reçu mais pour que l'artiste sente qu'il l'a donné. Je ne cherche pas à enfoncer la science mais je veux restituer à l'art sa propre vie, avec sa spécificité. Que le caniche, au lieu de faire le beau, se mette enfin à mordre ! Quand j'écoute un concert "moderne", quand je visite une exposition, quand je lis un livre d'aujourd'hui, je suis pris de faiblesse, j'ai l'impression d'avoir affaire à une capitulation et à une mystification. On ne sait plus qui parle : un poète, ou un "homme éduqué, cultivé, averti et informé" ? Le créateur, qui récemment encore parlait d'une voix divine, crée aujourd'hui comme s'il fabriquait. Il crée comme un élève. Comme un spécialiste. Comme quelqu'un qu'on a instruit. Assez de ce scandale ! ...
Mardi.Un coup dans le ventre ! Et pan dans les gencives !
Mercredi.Un coup sur la gueu...
Jeudi.Pan ! Et allons-y gaiement !
VendrediDu calme. Fi de cette théorique de blousons noirs !
Et pourtant, quelle autre solution pour vous, artistes ?...
Dimanche(...) La science est libre de courir après l'utilité. Mais que l'art soit le gardien de la forme humaine !...
Witold Gombrowicz : extrait de " Journal, Tome II, 1959-1969, Éditions Gallimard, 1995.