Hier au soir se déroulait à l'Espace Renoir de Roanne, salle classée art et essai, l'ouverture du 12eme festival BD d'Ambierle avec la projection du film Nos ombres d'Algérie, réalisé par Vincent Marie. Celui-ci était proposé au grand public après avoir été montré en matinée à 250 élèves roannais et 110 de Charlieu.
C'est la deuxième fois que Laurent Segal, co-réalisateur et producteur vient à Roanne, où il avait présenté en 2020 le film La colline aux Coquelicots traitant de la guerre de 14-18.
Le principe des éditions Kanari est original et de qualité : proposer une vision d'un sujet, souvent historique, mais pas que, mettant en lumière des auteurs de bande dessinée. A plusieurs voix, comme ici, ou en solo comme dans "Page 52", où feu Jean-Claude Mézières nous immergeait dans une des pages de son Valérian et Laureline en cours.
Vincent Marie filme les relations entre la France et l'Algérie avec une grande pudeur mais sans fards non plus, laissant parler les auteurs, tous ayant une relation intime avec le pays et où la guerre, par le biais de leurs familles. Qu'ils soient "pieds noirs" comme
Jacques Ferrandez, (originaire via ses grands-parents à la fois d'Alsace et d'Afrique),
Jeanne Puchol, dont les parents venaient d'Algérie, tout comme
Jöel Alessandra, ou algérien comme
Mourad Boudjellal ou
Kamel Khélif. Quant à
Gaétan Nocq, il interview et a adapté en bande dessinée le parcours d'appelé d'Alexandre Tikhomiroff, fils d'émigré russe et de mère castillane ayant écrit à 21 ans "Une caserne au soleil" (l'Harmatan) sur son expérience lors de la guerre d'Algérie. Il nous emmène aussi au camp de rétention de Rivesaltes, dans les Pyrénées orientales, où un superbe musée propose de rendre tangible la vie dramatique de milliers d'immigrés passés par là entre la guerre d'Espagne et celle d'Algérie, sans occulter la seconde guerre mondiale.
© Kanari Films, 2022 Les témoignages dans leurs ateliers ou en extérieur, de ces hommes et femmes artistes, sont émouvants, car le réalisateur, ayant gagné entièrement leur confiance, recueille leurs souvenirs - cela confinant parfois à la limite de la psychanalyse - certains les évoquant d'aileurs tout en dessinant.
Mourad Boudjelal aborde de son côté la relation à "l'arabitude", comparant son statut à un immigré africain arrivé récemment dans sa ville. Un simple "bienvenue en France" à l'attention de ce dernier le fait se sentir alors français, alors qu'il s'interroge sans cesse sur sa propre identité. Rarement la bande dessinée n'est filmée avec autant de vérité et de rapport à l'intime, mais aussi à la matière (il faut voir les travaux de
Kamel Khélif, dont l'encre délavée fait apparaître ses œuvres, comme par magie, telles des daguerréotypes), ou le témoignage de
Jeanne Puchol expliquant l'attrait du noir dans une représentation des actes violents intervenus lors des évènements policiers du métro Charonne le 08 février 1962 à Paris (1). Les aquarelles majestueuses de
Jacques Ferrandez ou
Joel Alessandra (expliquant l'importance des tons de couleur), apportant la lumière nécessaire à ces évocations d'un pays meurtri, aux passages d'histoire tabous, mais qui continue à inspirer les artistes, comme aux premiers jours... de conquête.
Un film beau et émouvant, à retrouver en DVD.
Alger vu par Jacques Ferrandez
La séance a été suivie d'échanges avec Laurent Segal et Jeanne Puchol, cette dernière se prétant avec grande gentillesse au jeu des dédicaces. (Photo ©F.Guigue)
(1) Dessins à retrouver dans Charonne- Bou Kadir (éditions Tiresias, 2012)
Fiche technique
Nos ombres d'AlgérieDocumentaire 52 minutes – 2022
HD – 16/9
En coproduction avec France Télévisions
Avec la participation de TV5 Monde
Avec le soutien du CNC, de la Procirep et de l’Angoa, du ministère des Armées – Secrétariat général pour l’administration – Directions des patrimoines, de la mémoire et des archives, de l’ONACVG et de l’Institut français en Algérie.
https://www.kanarifilms.fr/