Seul. Seul face à une foule fanatisée. Hurlante. Elle veut l'empêcher de s'exprimer. Mais Pierre Mendès France fait face. Il se tient droit et sourit. Il attend que Georges Pompidou (ou un autre) fasse taire cette foule hostile, irrespectueuse. Nous sommes à Grenoble en 1967 lors de la campagne des législatives. PMF participe à une réunion contradictoire mais ses adversaires ont bourré la salle d'opposants. Il a accepté de débattre, au lieu de cela il va devoir combattre. Comme d'habitude. Ces premières images du documentaire qu'Yves Jeuland et son équipe ont réalisé récemment disent tout de Pierre Mendès France, de son courage, de ses convictions.
Il aura fallu une rencontre fortuite en 2016 entre Michel Mendès France (à qui le film est dédié) et le documentariste pour que la possibilité d'un documentaire retraçant la vie de l'ancien Président du Conseil se concrétise. Projeté mercredi au Forum des images de Paris devant plus de 500 invités " Mendès La France " a d'immenses mérites. Il tombe à pic avant le 40 e anniversaire de sa disparition et il répare un regret qu'Yves Jeuland présente comme un remord. Celui d'avoir omis dans l'un de ses précédents films consacré aux juifs de France en 2007(" Comme un juif en France "), une personnalité exceptionnelle à la fois pour la qualité de ses engagements publics mais aussi pour l'importance qu'il accordait aux relations familiales et à sa généalogie qu'il cultiva jusqu'à sa mort en octobre 1982.
Pierre Mendès France était juif. Et alors ! Juif d'origine portugaise (Mendès Franca) dont les aïeuls gagnèrent la France il y a plusieurs siècles pour devenir des Français à part entière et dont certains s'illustrèrent dans des combats pour tenir haut le drapeau tricolore. La lettre qu'il adressa au Maréchal Pétain après qu'il eut choisi de s'évader de la prison de Clermont-Ferrand en 1942 à la suite d'un procès inique souligne l'attachement de cet homme aux règles de vie qu'il s'était fixé : la vérité, la droiture, la fidélité, la fierté d'un nom et la défense d'une patrie qu'il n'avait pas trahis à l'image de son ami Jean Zay, assassiné par la milice de Vichy.
Le documentaire d'Yves Jeuland égrène les moments " Mendès France " : La naissance à Paris rue Turbigo, l'amour de ses parents et de sa sœur, l'avocat de la rue Tatin à Louviers, l'élection législative gagnante de 1932 comme radical socialiste, le secrétaire d'Etat de Léon Blum qu'il admirait, l'aviateur de la France libre (1) et son attachement au général de Gaulle, son mariage avec Lily Cicurel et la naissance de ses fils Bernard et Michel. Il faut entendre Pierre Mendès France chanter Cadet Roussel à ses enfants alors réfugiés aux Etats-Unis avec leur maman : un grand moment de magie tendre et poétique.
7 mois et 17 jours. Cette période aussi courte que fulgurante continue de marquer les esprits. C'est le temps passé à la présidence du Conseil de la République par PMF appelé par le président René Coty. S'il parvint à obtenir la fin de la guerre d'Indochine (et à sauver la vie de milliers d'hommes), à assurer l'autonomie de la Tunisie ; la CED (Communauté européenne de défense) et les événements (on ne disait pas encore la guerre) d'Algérie vont mettre un terme à ce qui reste encore aujourd'hui une exemplarité fondée sur la parole donnée, la politique expliquée, le citoyen privilégié. Ses causeries du samedi (à la radio car la télévision n'en était qu'à ses balbutiements) demeurent ce qu'un dirigeant politique pouvait faire de mieux à une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas même si la presse écrite tenait alors le haut du pavé, celui de la rue Réaumur.
Battu à Louviers en 1958 pour avoir dit non au " coup d'état " gaulliste (2) et surtout pour avoir refusé les institutions de la 5 e république qu'il considérait comme dangereuses, Pierre Mendès France se mua alors en observateur engagé de la vie publique en France et à l'étranger où son intelligence et ses avis continuaient de peser. Elu député de Grenoble en 1967, il y fut battu en 1968 de quelques dizaines de voix, les communistes ayant opté pour un vote dit " révolutionnaire " en favorisant objectivement le candidat de la droite. Et pourtant. Qui niera que le souci permanent de celui qu'on appelait alors PMF furent la justice sociale et le progrès sous toutes ses formes : éducatif, scientifique, économique, culturel...avec un corollaire obligé : la recherche de la paix surtout au Moyen Orient où il défendit avec conviction la cause de deux états (israélien et palestinien) vivant dans des frontières reconnues et sécurisées.
Le film d'Yves Jeuland explore avec bonheur des archives de l'INA, elles couvrent toute la vie publique de PMF. Mais sans l'aide et le soutien appuyé de Joan Mendès France et de Tristan et Margot, ses petits-enfants, l'exposé eut pu demeurer trop didactique. Grâce à des documents inédits : des photos, des lettres, des tableaux de Lily, à Paris ou dans la maison des Monts à Louviers, le spectateur entre dans le monde discret d'un homme tant aimé et tellement respecté. Qu'un Jean-Marie Le Pen, député poujadiste de sinistre mémoire, l'insulte à l'Assemblée nationale doit nous faire nous souvenir, si jamais nous l'avions oublié, que l'extrême droite française puise ses racines dans un antisémitisme systémique que les années n'effacent pas.
Après la projection du film, mercredi dernier, le public a fait une ovation à l'équipe de réalisation à laquelle il convient d'ajouter les producteurs, le créateur de la musique originale, sans oublier le soutien du Mémorial de la Shoah et de l'Institut Mendès France pour leur subvention. Le documentaire " Mendès la France " sera projeté sur la 5 à une date que j'indiquerai quand ellesera connue. Le 14 octobre à 20 h 30 au Moulin, la mairie de Louviers a pris l'initiative de présenter le film d'Yves Jeuland et d'organiser un débat à la suite de la projection.
(1) Pierre Mendès France participa à plusieurs missions de bombardement à bord des avions de la RAF. Il y fit preuve, là encore, d'un réel courage physique.
(2) Cette défaite lui causa du chagrin. Elle entraîna - décision remarquable - sa démission de son poste de maire de Louviers et de la présidence du Conseil général de l'Eure. " Les électeurs(trices) me confia-t-il en 1978, avaient le droit de ne pas être d'accord avec moi. "