Discographie sélective : 1982, année de gestation

Publié le 20 septembre 2022 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Je vais fêter mes quarante ans dans quelques mois, ce qui signifie que ma maman a passé la moitié de son année 1982 enceinte de moi.  Cet état de fait rejoint une question qui me taraude depuis le début de mon existence : le fœtus est-il influencé par ce qu’il écoute dans le ventre de sa mère ? Cela expliquerait certains de mes goûts musicaux en effet. Maman, grande fan d’eletronica, de folk et de musique fusion, m’a donné ceci en héritage. Mais quand je vois ce qui est sorti fin 1982, voire début 1983, je pense que les influences de Maman se sont plus diffusées une fois dans mon berceau.

1982 en musique, s’il ne porte pas les prémices des sons avec lesquels j’ai grandi, institutionnalise certains styles comme l’electronica ou la new wave. Le rock semble fait moins heavy : Metallica n’a pas encore sorti son premier album, AC/DC se repose de Back In Black et For Those About To Rock We Salute You, mais Iron Maiden impose son son avec The Number Of The Beast. Preuve que les apparences sont trompeuses et qu’il faut creuser avant des se faire des idées toutes faites.  Mais comme depuis le début des années 1980, le rock se fait fusion pour gagner de nouveaux adeptes. On pense évidemment à l’inspiration rockabilly, très en vogue quand il est mâtiné de punk (Stray Cats) ou de musique électro (Sparks).

Voyons maintenant comment je visualise la musique juste avant ma naissance.

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1 – Jean-Jacques Goldman – (Minoritaire) (non daté)

Si le premier album éponyme sorti l’année précédente a été porté par la locomotive Il suffira d’un signe, ce deuxième album tout aussi éponyme – puisque la maison de disques avait refusé Minoritaire – est un album plus travaillé. En effet, outre le travail vocal entamé par Jean-Jacques Goldman pour renforcer sa tessiture certes haute pour un homme, mais pas assez ampoulée pour l’esprit de l’album, une dimension rock est apportée dans l’orchestration avec l’intervention de Nono Krief, guitariste de Trust. Le résultat est sans appel : alors qu’Il suffira d’un signe a été le seul single à succès du premier album, Minoritaire contient des gros classiques du répertoire de Jean-Jacques comme Quand la musique est bonne, Comme toi ou Au bout de mes rêves. De surcroît, vu qu’il commence à chanter des chansons « conscientes », il se met à être comparé à des artistes comme Michel Berger ou Daniel Balavoine, dont le succès à la même époque était flagrant. S’il est toujours bashé par les critiques rock qui ne comprennent pas ses intentions, le public valide avec Minoritaire un Jean-Jacques Goldman qui, par la suite, restera un des tauliers de la chanson française pendant une vingtaine d’années.

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2 – Sparks – Angst In My Pants (mars)

Onzième album des frères Mael, il se situe dans la continuité de Whomp That Sucker (1981), avec le même producteur – Reinhold Mack – et le même backing band – Bob Haag à la guitare, Leslie Bohem à la basse et David Kendrick à la batterie. D’inspiration moins rockabilly et plus power pop – au point que Sherlock Holmes soit devenu un sample très prisé par les producteurs de vaporwave –, ce onzième album ne s’impose pas dans les charts anglais mais arrive à se hisser à 173e place du Billboard 200 avec même un classement à la 60e place du classement des singles US pour I Predict, ce qui n’était pas arrivé depuis 1971 pour le groupe. Plusieurs titres ont été utilisés comme illustrations sonores dans des œuvres de fiction, que ce soit dans des films (Angst In My Pants et Eaten By The Monster of Love pour Valley Girl de Martha Coolrige en 1983) ou dans des séries (toujours Eaten By The Monster Of Love dans un épisode de la sixième saison de Gilmore Girls).

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3 – Dorothée – Hou ! La menteuse (avril)

Alors qu’elle était encore présentatrice sur Récré A2, Dorothée signe un contrat d’exclusivité pour des œuvres phonographiques avec AB Productions en 1979. Problème : elle est aussi choisie pour être ambassadrice Disney en 1981 et doit chanter Rox et Rouky. Un album rempli de chansons Disney aurait dû suivre, mais le contrat avec AB l’en empêche. Qu’à cela ne tient : Jean-François Porry/Jean-Luc Azoulay et Gérard Sallesses se bougent les fesses pour lui faire avaler la pilule et s’empressent de lui écrire Hou ! La menteuse. Même quarante ans après, ce single reste le plus grand succès de la chanteuse-présentatrice avec 1,3 millions de 45T vendus. Outre le single qui donne le nom de l’album, ce deuxième album studio sorti contient justement le générique de Rox et Rouky, ainsi que les tubes La valise et Tchou, tchou le petit train.

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4 – Toto – Toto IV (avril)

Quatrième album du groupe californien, il se situe dans un contexte de friction avec la maison de disques qui lui reproche l’échec des deux précédents albums, Hydra (1979) et Turn Back (1981). C’est donc avec l’esprit de revanche que le groupe reprend le chemin des studios fin 1981 et invite divers musiciens à collaborer. Plusieurs studios sont mobilisés – dont le studio personnel de David Paich, claviériste et compositeur attitré du groupe. Si Turn Back s’était orienté vers le hard rock – un style qui ne correspondait pas au style initial de Toto –, le groupe a décidé de s’orienter davantage vers la fusion vers le jazz, le funk et les musiques latines. Cela leur a réussi : plusieurs singles sont tirés de l’album, dont Rosanna (chanson inspirée par la relation entre Steve Porcaro, le batteur, et l’actrice Rosanna Arquette), Make Believe et surtout le cultissime Africa – qui prouve qu’en 1982, Michel Sardou et Rose Laurens n’avaient pas le monopole des clichés colonialistes en chanson.

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5 – The Cure – Pornography (mai)

Quatrième album du groupe anglais et album préféré du Mari qui est fan du groupe, c’est un album tellement oppressant que, même cachée sous ma couette, je dois interrompre son écoute pour cause de névralgie. Le groupe est au sommet de sa phase cold wave et on peut dater de la tournée qui s’en suit la création du maquillage caractéristique de Robert Smith, à savoir l’œil charbonneux et le rouge à lèvres porté débordant. Pour ce qui est de l’ambiance générale de l’album, les propos sont très sombres et le mixage donne l’impression d’écouter l’album dans une boîte de conserve. Cette absence d’espoir dans le propos a permis au groupe de gagner de nouveaux fans, mais les tensions entre Robert Smith et Simon Gallup en concert, puis la brouille de dix-huit mois qui s’en est suivie a dû obligé le groupe à prendre par la suite un virage plus pop.

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6 – Téléphone – Dure limite (juin)

Quatrième album du groupe parisien, il marque le changement de maison de disque d’EMI vers Virgin. Concrètement, la bande de Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac ont des envies d’Amérique et ont donc cherché, sans succès, à adapter six titres de l’album pour le marché anglophone avec l’aide de Lou Reed. Plus « joyeux » que son prédécesseur Au cœur de la nuit (1980), l’album est enregistré à Toronto sous l’égide du producteur Bob Ezrin, qui a produit auparavant The Wall pour Pink Floyd. Cependant, même si le disque comporte des titres joyeux comme Ca (c’est vraiment toi) ou laisse même la place à Corinne Martineau qui compose Le Chat, c’est l’album où on voit les premières tensions au sein du groupe. Le batteur Richard Kolinka a même déserté certaines sessions pour aller jouer sur l’album d’Alice Cooper sorti en 1983, DaDa. Malgré tout, cet album se vend à 700.000 exemplaires et jouit d’une bonne réputation. Pour certains critiques, Dure Limite est l’album de la maturité pour le groupe qui passe un cap dans la construction de ses chansons.

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7 – Dire Straits – Love Over Gold (septembre)

Quatrième album du groupe anglais, il était destiné à contenir six titres. Sauf que Mark Knopfler, au final, a décidé d’offrir Private Dancer à Tina Turner pour relancer sa carrière. Contrairement aux trois premiers albums, Mark Knopfler a décidé de laisser la part belle aux nappes de clavier pour se mettre dans l’air du temps sans pour autant se trahir. Pour le reste, je vous invite à voir ma chronique de l’album ici.

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8 – Marvin Gaye – Midnight Love (octobre)

Avouons-le de suite : ce seizième et dernier album d’un de mes artistes préférés ne fait pas consensus à la maison. Le Mari, pas très au fait de la musique soul et de la Motown, dit que c’est son album préféré de Marvin Gaye. Personnellement, après avoir loué son travail dans les années 1960 ou avec Tammi Terrell, j’ai clairement un peu de mal avec cet album dans son ensemble. En effet, je trouve qu’il contient une vibe trop funk électrique pour m’accorder avec ce que je considère comme le son organique de Marvin. Enregistré après la signature d’un contrat avec CBS, il est le résultat d’un séjour de dix-huit mois à Ostende. D’ailleurs, la ville propose à l’heure actuelle un Midnight Love Tour pour faire découvrir les lieux où l’artiste a séjourné. Pour faire face à la concurrence sur la scène soul, il fait intervenir les producteurs Gordon Banks et Harvey Fuqua qui décident d’utiliser des boîtes à rythme. Ce son très moderne permet à Marvin Gaye de retrouver le succès, notamment avec le stratosphérique Sexual Healing. Malheureusement, cela ne l’empêchera de retomber en dépression et de retourner vivre chez ses parents – pire idée du siècle quand on sait comment il a fini.

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9 – Led Zeppelin – Coda (novembre)

Suite au décès du batteur John Bonham en 1980, les trois autres larrons du groupe ont hésité un temps avant de se séparer définitivement en 1983. Ceci ne les empêche pas de jouer ensemble à l’occasion à l’heure actuelle, en demandant à Jason Bonham de tenir les parties de batterie. Mais avant de se séparer, le groupe a décidé comme baroud d’honneur d’éditer diverses chutes de studio et autres chansons non retenues de Led Zeppelin III (1970) à In Through The Out Door (1979). Le résultat est plus cohérent que le dernier album studio du groupe, où John Paul Jones avait pris plus de place. A titre personnel, nous possédons à la maison la version 3 CD de 2015, qui reste un beau document d’écoute.

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10 – Michael Jackson – Thriller (novembre)

On ne peut pas omettre ce jalon de la musique des années 1980, voire même de la musique populaire contemporaine tout court. Ce sixième album solo de l’artiste est un monument : 32 millions d’albums vendus pour la seule année 1983, 66 millions d’exemplaires vendus en tout… Avec ce succès, Michael Jackson devient le premier artiste noir à être diffusé sur MTV. Il faut dire que l’album est principalement porté par les clips de Billie Jean, Beat It et surtout Thriller, un long-métrage de 10 minutes réalisé par John Landis.

On pourrait écrire un livre entier rien que sur les débats sur la composition et l’enregistrement de l’album entre Michael Jackson et Quincy Jones, tant tout a été documenté sur cet album. Entre la participation d’Eddie Van Halen sur Beat It, de Vincent Price sur Thriller, de Paul McCartney sur The Girl Is Mine ou de Manu Dibango sur Wanna Be Startin’ Somethin’ – humour –, on ne compte plus le beau monde qui a participé au disque.

C’est de surcroît un disque qui marque l’affirmation de Michael Jackson en tant qu’artiste complet et souverain sur son processus de création. Du haut de ses 24 ans et de ses 15 ans de carrière, il a imposé ses choix de manière brutale face à Quincy Jones qui avait l’habitude de le chapeauter sur l’album précédent, Off The Wall (1979). Le producteur était très mitigé concernant Billie Jean, au point de vouloir l’enlever de l’album et d’argumenter que le marché du disque se cassait la gueule, bla bla bla. Michael Jackson a menacé de ne pas sortir l’album si le morceau n’était pas maintenu. Bien lui en a pris, au vu de sa notoriété quarante ans plus tard.

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À bientôt pour de nouvelles aventures musicales.