Certes, le texte négocié n’est au fond que la formalisation des attentes de la Russie à savoir la loi du plus fort. Certes, la fin des hostilités ne signifie pas le règlement de la question caucasienne. Il n’empêche, force est de reconnaître que Nicolas Sarkozy aura su tenir son rang et redonner une place à l’insaisissable diplomatie européenne.
De fait, le président français aura été le bon interlocuteur, au bon endroit, au bon moment. Nicolas Sarkozy a une tendance naturelle à préférer les riches et les puissants aux faibles et aux perdants. Ce trait de caractère tout comme sa familiarité, sa décontraction, ses tutoiements abusifs lui auront été utiles mais aussi, en la circonstance sa proximité avec celui qui demeure le véritable « tôlier » de la Fédération de Russie : Vladimir Poutine.
Le quotidien Libération rapporte que dès le début de la crise l’Élysée avait fait savoir aux autorités russes que Saakachvili avait pris en intervenant militairement en Ossetie, une décision qui était « une folie », que la réaction russe avait été «disproportionnée», mais que la France la «comprenait». Une position très tempérée qui explique en grande partie la place laissée à la France, et par ricochet à l’UE, dans le ballet diplomatique.
En d’autres circonstances le poids de l’Europe aurait vraisemblablement été différend. Notamment si la présidence tournante de l’Union avait été assurée par un ancien pays du bloc de l’Est. La Pologne et les trois Etats baltes, se sont très vite désolidarisés de la position française en se rendant à Tbilissi, accompagné du président Ukrainien, pour apporter leur soutien à la Géorgie. La Russie “cherche à rétablir sa domination. Le temps de la domination est passé”, anotamment déclaré le chef de l’Etat polonais devant une foule de plusieurs dizaines de milliers de Géorgiens.
La diplomatie ce sont des négociations laborieuses en arrière-cour et, du bling-bling sur le devant de la scène. La visite de Nicolas Sarkozy au Kremlin répond à cette répartition des rôles. Sous les ors du palais impérial russe, Dmitri Medvedev, dans un style volontairement glacial, a remercié Nicolas Sarkozy d’avoir «participé au règlement d’un problème compliqué» et a résumé les raison de l’intervention de son pays en quelques mots : «Nous avons défendu les intérêts russes». Sans jamais pouvoir jouer d’égal à égal, Nicolas Sarkozy a tempéré la violence verbalede son hôte : «s’il est parfaitement normal que la Russie veuille défendre ses intérêts ainsi que ceux des Russes en Russie et des russophones à l’extérieur de la Russie, il est normal également que la communauté internationale veuille garantir l’intégrité, la souveraineté et l’indépendance de la Géorgie».
Reste à savoir si les hommes forts du Kremlin l’ont entendu. On peut en douter. Il fallait un figurant pour mettre des formes diplomatiques à une victoire militaire incontestable, le rôle a échoué à Nicolas Sarkozy qui a néanmoins pleinement réussi son « audition » faute de billes pour pouvoir prétendre à mieux figurer dans la distribution. Beaucoup plus prudent et réservé qu’à son habitude le Chef de l’Etat Français a souligné le caractère «provisoire», du cessez-le-feu qui repose sur six principes très généraux : l’engagement de ne pas recourir à la force, cesser «définitivement toutes les hostilités», l’accès libre à l’aide humanitaire, le repli des forces géorgiennes dans leur lieu habituel de cantonnement mais aussi, le retrait des forces militaires russes sur une ligne antérieure au début des hostilités. Le sixième point, porte sur l’ouverture de discussions internationales sur le statut futur de ces régions.
Ce dernier résume à lui tout seul la légèreté de l’accord. Nicolas Sarkozy, y voit une bouteille à demi pleine «La solution durable n’a pas été trouvée. Il y a un engagement russe de garantir la souveraineté de la Géorgie». On peut à l’inverse, avec objectivité, estimer qu’elle est à moitié vide. Un simple « engagement » sur la question fondamentale de la souveraineté Géorgienne apparaît un peu fragile quand le futur de la région caucasienne dépendra du bon vouloir russe à respecter des frontières internationalement reconnues. A ce titre, l’appel de Dimitri Medvedev à l’autodétermination des Ossètes et des Abkhazes, laisse planer de sérieux doutes sur les intentions des Russes qui ont imposé le retrait du principe de respect de l’intégrité territoriale de la Géorgie dans le texte final.
Malheur aux vaincus. Pour terminer la pièce, il fallait bien revenir sur les lieux du drame. Fort de l’accord russe en poche, Nicolas Sarkozy s’est envolé vers Tbilissi pour faire avaliser le plan de paix par les Géorgiens, comme s’ils avaient la possibilité de le rejeter. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait prévenu en menaçant Tbilissi de nouvelles «mesures» en cas de rejet du texte… Dans ce contexte Mikhaïl Saakachvili glisse en français en accueillant le monsieur bons offices et avant de donner, résigné, son accord : «J’aurais préféré accueillir mon ami Sarkozy dans une occasion plus joyeuse. Cela me rappelle Prague en 68 ou Budapest en 56 ».
Un rôle ambigu qui vaut au président français d’être accusé par ses détracteurs d’avoir participé à un nouveau Munich et d’être « le petit télégraphiste de Moscou ». Un grief auquel Nicolas Sarkozy réplique en déclarant «de ma part, il n’y a aucun renoncement mais une forme de lucidité», et en expliquant que l’objectif était dans l’immédiat de «renouer le dialogue» et non de «régler tous les problèmes». L’histoire jugera.