C'est en quelque sorte une lecture idéale pour l'été, ou du moins pour traverser une de ces périodes propices aux rassemblements familiaux, même si je n'ai pas eu la chance de vivre semblables évènements pour diverses raisons. En tout cas j'en ai la nostalgie et Xavier de Moulins raconte avec beaucoup de finesse ces moments où les tensions sont quasiment gommées par la magie des retrouvailles.
Dans la famille dont il nous invite à partager les joies et les peines, le rituel se répète pour chaque fête. Ainsi ils vont encore se retrouver pour le week-end de Pâques. Avec mon frère, avec mon père. Toute la famille ensemble. (p. 128)
La volonté de la grand-mère de maintenir la tradition a donné le titre au roman.
Grand-mère excentrique et passionnée, Paprika organise chaque année la fête du printemps. Dans sa maison remplie de souvenirs, elle reçoit ses enfants, ses petits-enfants, son ex-mari aussi… et la jeune femme qu’il vient d’épouser. Il y a ceux qui ont de nouveaux rêves, ceux qui s’accrochent à ce qu’ils ont construit, et ceux dont la vie bascule du jour au lendemain.Paprika est la mère du narrateur et ce personnage est très touchant. Très alcoolisée, très baba-cool aussi. "Elle était d’accord pour qu’il parte avec cette fille, puisque son coeur ne battait plus pour elle comme avant, et puisqu’un coeur ne se capture pas, ne s’enferme pas. Elle l’a embrassé une dernière fois et bu pas mal pour oublier.Elle n’a jamais depuis rebouché la bouteille.Ma mère a pris le parti de rire elle aussi de cette séparation. Quitte à en pleurer parfois. (…) Ma mère parle beaucoup mais se tait sur l’essentiel. "
L'auteur doit avoir une tendresse particulière pour les personnes âgées parce que ce n'est pas le premier de ses livres qui comporte une grand-mère qui a les qualités, le dynamisme et la tendresse dont on rêve tous. Et tandis que cette femme s'active pour que tout soit réussi le fils, lui, n'assume pas du tout ses soucis.
Il parle de sa femme en utilisant le temps présent tout en nous confiant qu’il devrait peut-être "mettre (les verbes) à l’imparfait et au passé simple". Il ajoute, et c’est ô combien juste : "en amour, la concordance des temps est une drôle de religion".
Quelques jours plus tard je lisais Éloge de la passion de Carlotta Clerici et il m'a semblé rencontrer cet homme dans le personnage de Pierre. Etrange coïncidence.
L'écrivain connait bien le tempérament humain, et la passion sans doute. Mais le journaliste n’est jamais loin derrière. Ainsi a-t-il raison de souligner que, chaque année des centaines de quadragénaires et de quinquagénaires se retrouvent sur la case départ. Leur point commun ? Les revers de fortune, les accidents de la vie. (…) Ces hommes ont perdu leur travail, ces hommes ont basculé. Tout s’est enchainé : leur femme les a quittés, ils ont perdu leur logement, ils se sont retrouvés à la rue, ou plutôt ils se retrouveraient sur le trottoir si leurs parents n’étaient plus de nouveau en état d’accueillir leurs enfants devenus grands et vieux en un claquement de vie. Choc des cultures, choc des générations (p. 76).
Et Xavier de Moulins poursuit sa comparaison : L’amour et le CDI sont de fausses promesses. (…) Une rupture amoureuse est un licenciement, un licenciement est une rupture.
Autre synchronicité avec Diego Lambert, le héros de Crédit illimité de Nicolas Rey que je chroniquerai dans quelque jours. Mais tout en se situant dans l'air du temps et tout en abordant d'éternelles problématiques, Xavier de Moulins réussit à distiller du suspense dans la vie de ses personnages. Et à diablement bien parler de l'échec.
Je tâcherai de me souvenir de la leçon de vie de Paprika : On ne retient pas un coeur qui bat pour un autre (p. 126). Mais ne vous attendez pas à ce que je vous dise si cette noble attitude porte ses fruits. Et si tout le monde en sort gagnant …
Chacun a-t-il la force (ou la sagesse, ou une autre motivation) pour souhaiter le meilleur à l‘autre quand il s’en va ?
Toute la famille ensemble de Xavier de Moulins, Flammarion, en librairie depuis le 2 mars 2022