Dans le cendrier du temps
je trouve un souvenir écrasé
mais paraît-il bien vivant.
Dans ce début de poème, dédié à Nuno Jùdice, le titre du recueil de Markus Hediger fait son apparition, dans la quatrième partie, ou mouvement, de cette romésie, qui se termine en une naturelle coda.
Les mots-clés en sont les souvenirs (dont Georges Schehadé conseille impérativement de se méfier dans l'épigraphe, comme d'une montre arrêtée) et les mots, qui viennent sous sa plume sans passé:
Mots qui sont là dans la tête,
soudain se mettant en mouvement,
quelques-uns, parfois descendent
sur la page où prenant forme et chair,
ils s'accouplent ou bien ils se mettent
en ménage à mille et trois, certains
se quittant aussitôt, retrouvant
célibat ou solitude,
d'autres encor t'emmenant vers où
tu n'imaginais aller.
Les souvenirs émergent des transports que le poète emprunte, un tram ou un train, des lieux de rencontres que sont un arrêt, un hall de gare ou un café à dix pieds sous le ballast, ou à Istanbul.
Le poète a une dilection pour les cahiers à carreaux, à l'appel desquels il répond et qui sont autant de fenêtres qui [le] regardent et semblent vouloir dire: - Allez, quelques mots, n'importe quoi...
C'est mieux d'écrire quelques mots quand ils évoquent les souvenirs d'êtres chers disparus, avec lesquels, enfant, il était complice, Nini, son père, sa grand-mère, Fraulein Lydia Lüscher ou Rosa:
En rentrant, chez moi, tard ce soir bon
de novembre flagellé de foehn,
en sentant sur mon visage
ce souffle chaud des saveurs du sud
qui m'entre dans les oreilles,
et là, qui sait pourquoi, là
je me dis que je les entends, eux,
les morts, les mots qu'ils murmurent
mêlés à la langue universelle
du vent qu'ils ont choisi pour demeure.
Que reste-t-il des êtres et des choses? Rien, sinon des souvenirs. L'essentiel n'est-il pas de les revoir partout, ainsi que les lieux de son enfance, que le poète a failli faire précéder de hauts voire de ô.
Francis Richard
Dans le cendrier du temps, Markus Hediger, 116 pages, L'Aire bleue