"... même encore maintenant il ne m'est pas possible d'aimer une femme sans me demander, par exemple, dans quel drame je serais capable de me lancer pour elle, quel supplice je pourrais endurer, broyage des os ou déchirement des chairs, noyade ou combustion à petit feu - question à laquelle je me réponds toujours avec une conscience si précise de ma terreur à l'endroit de la souffrance physique, que je ne puis jamais m'en tirer qu'écrasé par la honte, sentant tout mon être pourri par cette incurable lâcheté...
Cette question de la résistance à la douleur physique - question qui m'a toujours obsédé, mais de manière toute théorique - acquit une lourde réalité durant la période de terreur policière amenée par l'occupation allemande. Il me reste, comme une ombre sur la conscience, la certitude que, si je m'étais mis dans le cas d'être torturé, je n'aurais jamais eu, entre les mains des tortionnaires, la force de ne pas parler..."
Michel Leiris : extrait de "L'âge d'homme", Éditions Gallimard, 1939, annotation à partir de " cette question" pour l'édition de 1973, Gallimard Folio.